Dans une interview accordée à PressAfrik Zakaria Sambakhe directeur, pays de ActionAid a défendu la stratégie avec zéro Mutilation génitale féminine (Mgf) au Sénégal. Malgré les différents combats qui ont été menés pour l’éradiquer, le phénomène demeure présent dans de nombreuses communautés qui restent ancrées et fidèles à leurs us et aux coutumes. Face aux nombreux défis pour éradiquer les violences basées sur le genre, le directeur d’ActionAid appelle l’État à fournir plus d’effort et à travailler en parfaite cohésion avec la société civile, les organisations et les communautés. Soulignant l’impact néfaste des MGF, M. Sambakhe soutient que le fait de les médicaliser ne diminuerait pas pour autant ses conséquences. Par ailleurs, il prône l’abandon complet de cette pratique afin de respecter et de préserver l’intégrité de la femme ainsi que sa dignité.Pouvez-vous nous rappeler vos domaines d’activités au Sénégal l’ONG ActionAid ?
ZS : Nous sommes une fédération mondiale qui travaille à la justice sociale, à l’égalité des sexes et à l’éradication de la pauvreté. Au Sénégal, nous travaillons avec les communautés locales pour aider à garder les enfants, en particulier les filles, à l’école plus longtemps. Nous nous activons surtout dans la lutte contre les violences basées sur le genre ainsi que les mutilations génitales féminines. Nous avons pour objectif l’abandon total de ces pratiques.
Quelle est la situation actuelle de la lutte contre les Mgf ?
ZS : Il faut dire qu’il y a beaucoup d’avancées. Beaucoup d’efforts ont été consentis pour faire reculer les mutilations génitales féminines. Déjà, le taux national qui varie entre 16 à 20 %. Déjà, c’est bon, malgré cela, on constate qu’il y a des poches de résistance. C’est là où la société civile et les communautés et l’État doivent s’orienter pour mener davantage des actions. Mais dans le sens de sensibiliser, de former, et de faire comprendre aux communautés qui font cela que cette pratique contribue à violenter les femmes et les filles. Le fait de sensibiliser les parents et de les inviter à amener les enfants à l’école, toutes ses actions qui sont menées par la société civile vont contribuer d’ici les années à venir à mettre fin à ce fléau.
L’ONG que vous dirigez a-t-elle eu des résultats positifs dans ce sens ?
ZS : Oui ! Après avoir fait un diagnostic pour mieux comprendre la situation actuelle, nous avons pensé que nos orientations et nos actions pourraient être orientées à deux niveaux essentiels. D’abord l’éducation et ensuite l’autonomisation des femmes. Si on prend le volet éducation, c’est vraiment d’inciter les parents à travers ce qu’on appelle les comités de gestion des écoles. Les enseignants aussi ont leur rôle à jouer, donc de laisser les filles aller à l’école et rester a l’école en bouclant les 16 ans de scolarité. Dans certaines communautés, le mariage précoce joue beaucoup sur le retrait des filles à l’école. Ces actions pourront aider les filles à améliorer leur niveau de compréhension et à réduire les risques liés aux MGF. Sur le volet autonomisation des femmes, nous remarquons qu’aujourd’hui, lorsque nous sensibilisons les exciseuses, elles nous disent que si elles laissent cette pratique, elles n’auront plus d’occupation. De ce fait, nous mettons en place des initiatives génératrices de revenues comme des banques céréalières, de semences et former les femmes à accéder au financement qui leur permet de créer des activités génératrices de revenus. On a beaucoup d’exemples aujourd’hui de femmes qui ont abandonné cette pratique qui se sont lancées dans le business et qui sont devenues des modèles dans notre zone. On les appelle femmes championnes, car elles sont aujourd’hui dans des business et même la politique. Ce qui est très bien. Car si ces femmes-là arrivent à participer au niveau des instances de prises de décision, et défendre leurs droits, elles pourront porter le plaidoyer pour l’augmentation des budgets. C’est ça aussi le rôle de la société civile, c’est d’outiller les acteurs, les communautés, notamment les exciseuses a ce qu’elles puissent avoir des activités. Ce que nous faisons, c’est juste montrer le chemin. Mais l’Etat doit faire plus que nous.
Vous parlez de Zéro MGF au Sénégal. Est-ce possible ?
ZS : Nous nous alignons aux politiques publiques de l’État. Parce que cet engagement, c’était un engagement collectif. Sur le plan individuel, chaque organisation déroule ses actions et a des objectifs. Mais l’objectif est prioritairement de construire un Sénégal avec zéro MGF. C’est un objectif national, cela veut dire que chaque acteur doit contribuer à l’atteinte de ses objectifs. C’est là où se trouve le défi. Parce que si un groupe, un acteur ou une organisation travaille et que les autres ne travaillent pas, c’est comme zéro. Par conséquent, si on a des plans d’action, il faut mobiliser les ressources financières et humaines, mais aussi qu’on arrive à impliquer et à coordonner des initiatives en faisant de telle sorte que la synergie existe et qu’on harmonise les interventions qu’on mutualiste nos ressources.
« Il faut qu’on s’attaque aux normes sociales »
C’est ça qui va aider à atteindre nos objectifs. Si chacun va travailler de son côté, on risque de se piétiner, mais au finish, on n’aura pas les résultats escomptés. Vraiment, c’est un appel que je lance à l’ensemble des acteurs, notamment l’État à la mobilisation des ressources, mais également à impliquer l’ensemble des acteurs pour que ce travail qui fait puisse être bénéfique pour tout le monde. Parce qu’aujourd’hui les MGF constituent un problème de santé publique. Si on ne se mobilise pas on risque d’être toujours là à dire un Sénégal zéro MGF alors que les pratiques continuent toujours au niveau communautaire.
Vous disiez que la pratique existe toujours en cachette. Elle comporte des questions identitaires ou culturelles ect… Ceci, ne rend-t-il pas impossible le slogan zéro MGF?
ZS : Bien sûr ! C’est ça le défi. Aujourd’hui, les questions des normes sociales sont des questions profondes ancrées, ce sont nos croyances nos us et coutumes. Ce qui veut dire que si on ne s’attaque pas à ces normes sociales, on risque de tourner en rond. Donc ça veut dire que réellement nos actions n’auront pas de résultat ou des impacts. S’attaquer aux normes sociales ne veut pas dire venir avec la force prendre nos machettes et autres, non. Il faut dialoguer avec eux qui le font avec ceux qui pensent que les MGF sont des choses qui sont recommandées par la religion ou même que c’est une bonne pratique. Il faut les convaincre parce que c’est ça qui va faire la différence avec la force. Il faut leur expliquer avec des évidences pour leur montrer des études de cas, des outils qui sont développés pour leur dire voici les causes voici les conséquences. Surtout, les conséquences à plusieurs niveaux non seulement sur le plan sanitaire, mais sur le plan dignité et intégrité car l’être humain est sacré. Son corps doit être protégé. C’est ça le challenge pour nous tous parce que les normes sociales sont très difficiles à changer. Ce sont des croyances qui datent de millier d’années qui ont été vulgarisées par les communautés. Il faut sensibiliser sur ça, sinon on risque malheureusement de ne pas atteindre un Sénégal zéro MGF. Ceux qui font cela, celles à qui cela est fait, ceux dans les pays desquels cela est fait, et ceux qui à l’extérieur savent que cela est fait, se retrouvent trop souvent dans une conspiration du silence engendrée par une combinaison étrange, mais extrêmement puissante d’ignorance, de tradition, de honte, de pauvreté et de dédain de la part des intellectuels.
Face à cette situation, pourquoi ne pas médicaliser l’excision ? Vu que la religion musulmane ne s’y oppose pas ?
ZS : alors ça, je ne pourrais pas le dire, car je ne suis pas spécialiste de la santé, mais je pense que toute pratique qui consiste à couper une partie totalement du corps souvent peut entraîner des conséquences sanitaires. On parle d’hémorragies et autres. On a vu des femmes qui ont des enfants et qui vivent sans problème. Je pense qu’au vu de ces contradictions qui existent, entre les acteurs, il serait important de laisser tomber. Pour nous, l’intégrité humaine personne, ne doit la violer, même si certains pensent que c’est une pratique qui permet de purifier la femme. Mais nous savons tous que cela aura des conséquences néfastes. Donc si on pèse le pour et le contre, ne pas faire est plus avantageux pour la personne.