Dr Babacar Niang, 66 ans, arrêté mardi dans l’affaire Ousmane Sonko, a fricoté avec le néant et trimé avant de s’ouvrir la lumière. Le patron de la clinique Suma et pionnier de la médecine privée, « perfectionniste » mais « ne respecte personne », selon des témoignages, est un médecin… sans frontières, au sens propre comme figuré.
Quand il contemple la mer devant sa villa jouxtant l’hôtel Ngor Diarama, Dr Babacar Niang savoure l’instant, éjecte de son hippocampe les doux souvenirs de son père, jardinier qui adorait l’environnement. Une vie paisible que seuls les gazouillements chahutent mais qui tranchent avec la personnalité de Dr Niang. Lui, c’est l’homme des polémiques, des déclarations fracassantes, des diatribes contre l’Etat. Si cette fois-ci, ce n’est pas une sortie qui le met sous le feu des projecteurs, le directeur de Suma Assistance est venu se greffer, malgré lui, dans le duel Macky Sall-Ousmane Sonko, telle une comète dans une atmosphère noire d’incertitudes. Arrêté mardi dans son village natal, Madina Ndiathé, il devra s’expliquer sur les tenants et les aboutissants de la « maladie » du leader de Pastef.
Exemple de patriotisme, pionnier de la médecine privée
Sourire narquois, le ton désinvolte devant les caméras de iTv, alors que le Sénégal se remet un peu de la macabre pandémie de Covid-19, le médecin urgentiste sort de l’anonymat et lâche des bombes. « Du matériel public est vendu aux structures sanitaires du privé. Keur Serigne bi et d’autres revendeurs qui ont pignon sur rue. Tout ministre de la Santé qui vient, la première recommandation qu’on lui fait, c’est de ne pas soulever ce lièvre », avait dit Niang qui a aussi roulé sa bosse en Nouvelle Calédonie et en Australie. On a longtemps cru que Dr Babacar Niang flirtait avec les limites du tolérable avec son côté Zorro devant les médias. « On me taxe de politicien mais je n’en ai rien à faire de la politique. Je n’ai pas ce temps », bat-il en brèche. On l’a connu dans sa bataille avec Farba Ngom se disputant une parcelle aux Almadies, ou quand il menaçait de mettre sa vie en balance lorsque l’Etat n’a pas voulu lui donner son agrément pour exercer la médecine privée.
« Je voulais être technicien ou ingénieur en génie civil »
Dans la trajectoire de sa vie, Dr Babacar Niang pourrait en vouloir à l’Etat. La blouse blanche, pionnier de la médecine privée au Sénégal, aux chemises courtes manches, sourire tatoué dans son visage, n’a pas toujours obtenu les faveurs des pouvoirs publics. Lorsqu’il termine sa formation 1984, l’Etat lui signifie en pleine mise en œuvre du Plan d’ajustement structurel qu’il ne peut être recruté. Même lorsqu’il s’essaie à la médecine à domicile, il est voué aux gémonies par les médecins du public. Découragé, Dr Niang est retourné en France où il a fait ses études supérieures. C’est est un homme qui n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas à dire ce qu’il pense. Patriote jusqu’à la moelle avec un goût prononcé pour les défis, il revient au Sénégal quelques années plus tard, même si ses amis en France lui conseillent le contraire. « Tu retournes dans un pays qui ne veut pas de toi », ironise un collègue établi dans le pays de Marianne. Des propos rapportés par M. Niang lors d’une interview avec le site parcours.sn en août 2021. « Je voulais être technicien ou ingénieur en génie civil. A l’école, on avait 3 choix, les deux portaient sur la profession d’ingénieur et un autre dentiste. J’ai raté les tests d’ingénieur et je suis allé à la formation de dentiste mais le prof s’était absenté et on a étudié mon dossier en médecine. Le lendemain, c’est par pur hasard que je suis devenu médecin », raconte-t-il tout en bonne humeur.
« J’ai perdu ma mère le jour de mon Bac »
Robuste comme un roc, taille assez élancée, Dr Babacar Niang, barbe blanche bien garni. Un fidèle à Castro ? Il a en tout cas le sang d’un révolutionnaire. Il est né le 10 juin 1956 à Madina Niathbé dans le département de Podor. Dans cette partie du Fouta rendue célèbre par un pont sous le régime de Wade, le père Niang, fier toucouleur et ancien immigré décide de s’installer à Dakar, précisément à Ngor comme jardinier dans une forêt à côté de l’hôtel Ngor Diarama. Cet endroit appelé Hôtel de Ngor à l’époque, recevait jadis les hôtes Vip du président de la République. Le jeune Babacar est inscrit à l’école alors qu’il n’en avait pas l’âge. « Je ne sortais jamais des 3 premiers », rappelle-t-il avec fierté se souvenant qu’il faisait 4 km de marche pour aller à l’école. Le cursus va se poursuivre au Lycée Lamine Guèye, ex Van Vo où il suit le régime d’internat. « J’ai mené une vie très modeste. « J’aidais mes parents à travers mes petits boulots comme en guidant les touristes sur l’ile de Ngor », dit-il. C’est dans cette chaleur familiale qu’intervient le premier drame personnel du jeune Babacar Niang. « J’ai perdu ma mère le jour de mon Bac. Je viens d’obtenir mon Bac (sourire). Je prends mon car rapide et je débarque à la maison qui est pleine de gens. J’ai salué tout le monde et je suis reparti à l’internat. Je me suis dit que si on m’a épargné de tout cela, c’est parce que ce qui est devant moi est plus important », explique-t-il, mélancolique.
Une ancienne employée : « C’est un homme rigoureux, perfectionniste, mais qui ne respecte personne »
Aujourd’hui, il règne sur une société à 125 employés et établie à Dakar, Saint-Louis et Saly. Alors que Dr Babacar Niang regarde-t-il les gens de haut ? « C’est un homme rigoureux, perfectionniste mais martial. Avec ses employés, c’est l’enfer. Il ne respecte personne. Il prend ses employés pour ses enfants. Les prises de gueule sont fréquentes. Même avec les éminents médecins et universitaires qui travaillent avec lui. Suma a beaucoup perdu en ressources humaines. Des professionnels qui ne supportent pas ses caprices. C’est Mme Niang, son épouse, qui sauve les meubles et éteint les feux que Docteur allume en permanence et qui se propagent dans la clinique », déplore une ancienne employée à Suma Assistance. Pour Ibrahima Fall, ancien chef de cabinet de Diouf Sarr au ministère de la Santé, « les cris assourdissants accompagnés de clameur et exprimés avec agissement de la part de Babacar Niang ne sont rien d’autre qu’une forme de chantage pour accéder à des avantages indus comme le transport et le conditionnement des malades gérés par le Samu national ». Dr Babacar Niang est-il un opportuniste ? Il botte en touche : « Nous sommes souvent dans les grands événements à Touba, Tivaouane lors de l’effondrement d’une tribune à Demba Diop. Nous étions là quand Mamadou Diop perdait la vie en 2011 à la Place de l’Obélisque. Nous avons démarré l’autopsie et nous avons témoigné lors du procès. C’est notre partie de contribution pour la Cité. On n’a jamais réclamé des choses mais jamais quelqu’un ne nous a pas offert un litre de gasoil ».
Aujourd’hui père de 4 enfants, ce « monogame sans maitresse », d’après ses termes, contrôle un champ de 3 ha à Mbour et prépare l’avenir de sa progéniture. Après ses 2 filles actuellement en études de médecine, l’ainé de la famille s’active dans le business tandis que le dernier a failli ne jamais exercer son métier de cameraman à cause de la drogue. « Le Centre de (redressement) de Serigne Modou Kara à Guédiawaye a sauvé mon fils qui était tout le temps en overdose », se réjouit-il. Cette fois-ci, c’est bien Dr Babacar Niang qui a besoin de se sauver des grilles de la gendarmerie. Et il lui faudra une bonne assistance, et des arguments… cliniques pour se tirer d’affaires…