Des interventions aux allures de passe d’armes entre le ministre du Commerce et le président du Cness ont rythmé la restitution de résultats du mini-Lab sur l’import-substitution organisé par le Bureau opérationnel de suivi du Pse, pour arriver à la souveraineté alimentaire. En effet, après avoir salué cette initiative, Adama Lam a déploré le fait que les plans et projets au Sénégal finissent dans les tiroirs. Ce que Abdou Karim Fofana a énergétiquement contesté, avant d’inviter le privé national à s’engager à prendre davantage de risques et de faire moins d’immobilier.
Au terme du mini-Lab de structuration de la stratégie de l’import-substitution du blé par les céréales locales organisé par le Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal émergent en partenariat avec les ministères sectoriels, le secteur privé et le monde de la recherche du 13 au 24 mars dernier, les résultats de ces travaux ont été restitués, hier, au cours d’un atelier. Ce mini-Lab a été initié pour soutenir la dynamique de souveraineté alimentaire engagée par l’Etat. Une période transitoire de 18 mois est prévue afin de parvenir à la mise en place effective du dispositif aux différents niveaux pour un coût global 7,8 milliards francs Cfa. Avec cette planification, le Sénégal compte atteindre la substitution du blé importé par le blé local en 2035 où il est prévu 50% de substitution par les céréales locales pour une production de 253.852 tonnes de mil et 236.928 tonnes de maïs. 50% également de substitution par le blé local pour une production de 455.632 tonnes de blé local. En 2030, la substitution par les céréales locales sera à hauteur de 25% pour une production de 112.767 tonnes de mil et 105.249 tonnes de maïs. En plus de la substitution du blé importé par le blé local pour une production qui va atteindre 180.000 tonnes de blé local. Cependant en 2025, le Sénégal va atteindre 10% de substitution par les céréales pour une production de 39.443 tonnes de mil et 36.813 tonnes de maïs ; 7% de substitution par le blé local production de 45.000 tonnes de blé local. Cependant pour mettre en œuvre cette structuration de l’import-substitution, il faudra lever un certain nombre de contraintes dont le décret n°79-665 bis du 7 juillet 79 rendant obligatoire l’incorporation de la farine de mil à hauteur de 20% dans la panification.
Adama Lam du Cness : « ces plans et projets finissent dans les tiroirs »
De l’avis du Directeur général du Bureau opérationnel de suivi du Pse (Bos), El Ousseyni Kane, le Sénégal a toujours placé la réduction du déficit de la balance commerciale au cœur de ses priorités à travers la promotion des exportations et de l’import-substitution. « Cette option est devenue une nécessité, vu le contexte géopolitique actuel entraînant des perturbations dans les chaînes de production, de distribution et d’approvisionnement des céréales et d’autres types de produits essentiels pour le bien-être de nos populations », explique le patron du Bos qui précise que cette initiative vise à offrir un cadre unique d’actions pour accélérer les efforts déjà entrepris dans le sens de réduire les importations de blé. En tout cas, suite aux travaux de restructuration, El Ousseyni Kane est d’avis qu’il n’est pas permis d’infléchir l’élan des acteurs. Mieux, le directeur du Bos rassure qu’aucun effort ne sera ménagé pour la matérialisation des recommandations issues de ces travaux. De son côté, le président du Cnes, Adama Lam, attire l’attention sur l’application de ces plans qui, à l’en croire, pose problème. « Au Sénégal, tout a été dit, écrit et documenté ; malheureusement, ces plans et projets finissent toujours dans les tiroirs », se désole de constater Adama Lam. Aussi a-t-il préconisé aux acteurs de cette structuration de procéder, durant les 18 mois que va durer la mise en œuvre, au bilan semestriel de ce qui a été fait et de ce qui ne l’a pas été. Il a aussi invité le gouvernement à lever les contraintes liées à la disposition des terres pour les paysans, mais aussi de passer à une mécanisation poussée. En plus d’une mobilisation des ressources par le secteur privé national. « C’est possible, mais il faut une concertation beaucoup plus poussée entre le secteur privé et l’administration. Cela peut mettre un terme à l’exode rural », dit-il.
Abdou Karim Fofana conteste et charge le privé national
Toutefois, l’idée de projets qui dorment dans les tiroirs n’a pas plu au ministre du Commerce, Abdou Karim Fofana, qui n’a pas manqué de porter la réplique. « Le Bos, le Pse, les ministres et le gouvernement, c’est une même famille ; ce sont les bras d’un même corps. Le Président a créé le Bos en lui donnant une mission de structuration, de suivi qui permet au ministre en charge du Pse de faire chaque semaine un suivi en conseil des ministres avec un tableau de bord. Donc, ce suivi est fait. Au Sénégal, on ne met plus de projets et plans dans les tiroirs », précise le ministre du Commerce, avant de poursuivre : « si nous arrivons à passer d’une production céréalière de 1 million 200 mille tonnes à 3 millions 600 mille tonnes, une production de riz de 400 mille tonnes à 1 million 200 mille tonnes, c’est parce que les plans n’ont pas été mis dans les tiroirs. C’est parce que depuis 2012, on a du matériel agricole subventionné par l’Etat, plus de mille unités de centaines de milliards financées à 60%. Il y a une dynamique et cette dynamique avance. Cependant, il faut que le secteur privé avance davantage, prenne davantage de risques et fasse moins d’immobilier », charge Abdou Karim Fofana.
Abdou Karim Fofana a par ailleurs rappelé que le coût de la facture du blé dans le déficit de la balance commerciale est évalué en 2019 à 120 milliards et a évolué pour atteindre aujourd’hui 286 milliards. Poursuivant, il révèle que le gouvernement injecte chaque année 60 milliards en termes de subvention pour maintenir le prix du pain à 175 francs au lieu de 335 francs. Le sac de farine aussi acheté à 19.300 francs devait coûter 29.500 francs. Ce qui lui fait dire que « l’import-substitution est un enjeu de taille auquel nous devons faire face en apportant des solutions définitives afin de réduire la dépendance du Sénégal. 65% des importations de blé du Sénégal proviennent de la Russie et de l’Ukraine. Le travail qui vient d’être achevé va contribuer au-delà de la réduction du déficit de la balance commerciale, à accroître les revenus et créer de nouveaux emplois à travers le développement de filières locales des produits ciblés dans le processus de qualification notamment le mil, le maïs, le blé etc. Toute la chaîne de valeur sera impactée, de la production à la consommation en passant par les activités de logistique, de transport, de commerce de distribution », explique le ministre du Commerce.