POLITIQUE
ISMAELA MADIOR FALL : ENTRE LE MARTEAU DU DROIT ET L’ENCLUME DE LA POLITIQUE
J’avais décidé de ne plus parler de la question de la candidature du président Sall parce que le débat devient lassant et finalement ennuyeux tant les certitudes sont claires d’une part et la mauvaise foi bien établie de l’autre. J’avoue être motivé par les excellentes sorties de deux amis : le Pr Jean Louis Correa (A quoi sert le droit sous les tropiques ? Seneplus 27 mars 2023) et le Dr Abdourahmane Diouf (Plateau Iftar sur Itv). Cela m’a permis de revisiter l’œuvre du Prof Fall qui a participé à vivifier la doctrine du droit constitutionnel par des écrits de haute facture.
Honnêteté intellectuelle oblige !
Pourtant, ironie du sort, le Pr Fall évoque dans son ouvrage (Les révisions constitutionnelles au Sénégal : révisions consolidantes, révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise, CREDILA, 2011) ce viatique couplé avec l’autre axiome à savoir la neutralité axiologique pour étayer sa thèse.
Que dit le Pr Fall dans cet ouvrage ? Une relecture des pages 73 à 88 renseigne sur ses positions relatives à la candidature du président Wade en 2012.
Le Prof Fall rappelait qu’en matière de candidature, « la liberté est la règle, la restriction l’exception ». Pourtant, il participa, en tant que ministre de la Justice, à la restriction de la candidature de Khalifa Sall alors que ce dernier était encore électeur et éligible en 2019.
Plus loin, le prof Fall, parlant du Conseil constitutionnel, dit exactement ceci : « Le juge compétent aurait plutôt tendance à rendre des décisions favorables au pouvoir en général et au président de la république en particulier. C’est la conception même du Conseil (instance aux attributs et attributions modestes), le mode de nomination de ses membres (tous redevables au président), le profil de ses membres (personnes bien affiliées au système) et finalement sa propre histoire (une juridiction à la périphérie de la dynamique démocratique) qui font que le Conseil est l’ami et l’allié du président. Les juges constitutionnels sont, souvent, faute d’une vraie compétition gouvernant leur désignation, largement redevables à l’autorité nommante et ne sont pas des adeptes du devoir d’ingratitude. Pourquoi, devrait-on compter exclusivement sur le Conseil constitutionnel pour jouer les Zorro ? »
Ismaela nous demande pourtant d’attendre sagement la décision « des amis et alliés du président »…
Sur la valeur juridique de la parole du président de la république, là aussi, notre constitutionnaliste assène des vérités indéfectibles. Il écrit : « La déclaration présidentielle est de la plus haute importance en droit constitutionnel, mais aussi dans d’autres disciplines comme le droit international où la Cour internationale de Justice a condamné un Etat en lui opposant la déclaration de son chef d’Etat. Dans le régime politique où le président est la clef de voûte des institutions, l’interprétation présidentielle de la loi fondamentale
est un élément de référence juridique car le Président est une bouche de la Constitution. La déclaration du président Wade, relayée par la presse et indiquant lui-même qu’il ne pouvait pas faire un troisième mandat, est une interprétation présidentielle de la Constitution qui a force juridique et ne peut être assimilée à la déclaration de n’importe quel autre citoyen comme certains ont tenté de le faire croire ».
En cas de contre déclaration (wat waxeet), Prof nous donne la solution. « La première déclaration faite dans des conditions éloignées du moment électoral en toute liberté et de bonne foi, est celle à privilégier. »
Lui, par contre, semble avoir perdu toute bonne foi…
Dans ses écrits, le professeur Fall accorde une importance de premier plan à la communauté épistémique, « celle la dotée par l’Université de la légitimité de se prononcer, avec autorité, sur la question ». Pourtant, il entretient la polémique avec ses collègues (majoritaires) qui défendent l’impossibilité de la troisième candidature du président Sall. Il monte au créneau malgré ses nouvelles charges et manipule deux collègues dont l’un est tardivement venu à la discipline.
Finalement, sortant des sentiers du droit, il convoque la morale pour dissuader le président Wade à se représenter « pour une candidature de trop » en rappelant la posture de sagesse du président malien Alpha Omar Konaré. L’ancien président disait à des partisans d’un troisième mandat : « C’est définitif, je ne me représenterai plus. J’aurai 56 ans en l’an 2002 à la fin de mon deuxième mandat. C’est vrai que je serai un jeune retraité mais ce n’est pas la fin du monde ».
Et Madior fit l’éloge du malien : « la bonne race émergente des présidents africains qui savent passer la main à temps. »
Pour conclure, il conseilla au président Wade « d’entrer dans l’histoire en ayant la sagesse d’organiser de manière démocratique et républicaine (sa) succession en s’érigeant garant de la transparence de la prochaine présidentielle à laquelle ni lui ni son fils ne prendra part. La démocratie sénégalaise lui en serait éternellement et infiniment reconnaissante. »
A la relecture des écrits du professeur Ismaela Madior Fall, tous les esprits lucides sont dérangés. Le professeur Correa a rappelé le sens du droit, son essence même, « une représentation partagée de l’idéal social ». En effet, « Le droit est un ordre. Ce qu’il ordonne, c’est la vie. » (G. Burdeau). Par conséquent, il ne saurait servir d’instrument rudimentaire à des « ouvriers constitutionnels » pour « boucher un trou ou rapiécer un tissu genre fatalma fofou ».
En reniant ses propos sur la troisième candidature du président Sall, le juriste Ismaela perd sa crédibilité
et le politique Madior, son honnêteté. Seybani Sougou n’a pas tort de parler de « visage de la lâcheté ».