POLITIQUE
TOUTES CES ANNÉES PASSÉES À COLMATER
« L’Afrique noire est mal partie » est cet ouvrage célèbre paru en 1962, quelques temps seulement après la proclamation de la plupart de nos indépendances. Certains que l’histoire retient comme étant des nègres de service et qui avaient des responsabilités d’Etat ont crié au scandale suite au livre de René Dumont. L’histoire lui donnera pourtant raison. La balkanisation à elle seule suffit à expliquer le mauvais départ que nous prenions jadis. À la conférence de Berlin de la fin du XIXème siècle, carte du monde sur la table et sans sourciller, Allemands, Anglais, Français, Espagnols, Portugais, Belges et Italiens ont écrabouillé le continent en le mettant en pièces détachées. En agissant de la sorte, ces Européens, si prompts à délivrer des leçons, avaient agi comme des barbares. L’esclavage qui a précédé fut particulièrement abject. La colonisation qui suivit sera pire que tout. Elle a perturbé tous les équilibres et nos points forts. Et dans cette entreprise funeste, habillé en indépendance particulièrement dans les colonies françaises, le néocolonialisme, sans exagération aucune, est quelque part notre Hiroshima.
Si nous sommes aujourd’hui bombardés de difficultés, c’est aussi parce que nos turpitudes sont nos habitudes. Le Sénégal vient de fêter 63 années de liberté et de souveraineté. L’enthousiasme des premières heures a fait place à une certaine désillusion. On a fait figure de pays-pilote dont la mission était de montrer la voie et de tirer vers le haut. Pour nous, les avantages décisifs étaient réunis. À l’heure du bilan, un constat d’échec s’impose. Si Dumont a été attaqué après sa psychanalyse de l’Afrique, c’est qu’il a mis le doigt là où ça fait le plus mal.
La plaie de la corruption
Sitôt l’indépendance obtenue, les élites et des oligarchies ont fait du sang de leur peuple des lingots d’or. La corruption fait plus de ravages que la bombe H. Si le phénomène a atteint de telles ampleurs, c’est d’abord parce que l’intérêt général et la santé morale sont passés de vie à trépas. Ils sont morts de leur belle mort. L’absence de garde-fous et de châtiment exemplaire a d’autant plus facilité les détournements. La reconversion des mentalités pour laquelle Mamadou Dia s’était battu s’est transformée en aversion pour la moralité. Seules comptent à présent les contingences matérielles. Villa, voiture, verger, vénalité. Quand on ne sait plus mettre sur le même plan le bonheur collectif et le bonheur individuel, c’est qu’on en est arrivés à ranger la générosité de cœur et d’esprit aux oubliettes. Dans la confusion et le flou artistique, le sauve-qui-peut s’installe toujours avec aisance.
La crise d’autorité, c’est l’anarchie
Une autre infirmité ronge les omoplates de la société. Il s’agit de la crise d’autorité qui a installé un climat d’anarchie dans le pays. Qui peut accepter qu’on en soit à près de 400 partis politiques à la tête desquels gravitent pour la plupart des charlatans. Un autre cancer est en train de métastaser. C’est la perte du goût de la discipline. L’introspection et la vidange des mauvais com- portements se feront sur le divan national. Sur les chemins de notre histoire, il y a aussi ce grand fléau dont on parle si peu. Le Sénégal est en voie de désertification. Le Sahara gagne du terrain et mange les terres. La sécheresse des années 70 a durablement ravagé les écosystèmes. Les forêts classées sont déclassées. Des centaines d’arbres abattus quotidiennement au profit des lotissements. Au vu de ce qui précède, la grande muraille verte est une schizophrénie.