L’affaire est si grosse que peu de gens peinent encore à y croire. Le nombre de victimes présumées, 27, est si élevé que beaucoup s’en émeuvent pourtant. L’âge des filles, des mineures, justifie le drame des parents. Et comble de tout cela, le présumé bourreau, le maitre coranique, Serigne Khadim Mbacké, a disparu dans la nature. Les nombreuses rencontres avec les autorités religieuses de Touba, et les dépositions des filles n’y ont encore rien fait. Les parents se tournent vers l’Etat et les organisations féminines pour que cette série de viols présumés ne soit impunie.
Par Malick SY
Santhiane est niché au cœur de Touba mais avec un accès difficile. Dans ce quartier, situé derrière la maison du regretté khalife général des mourides, Serigne Sidy Moctar Mbacké, la sérénité n’est plus de mise. Pour certains, c’est une atmosphère de deuil qui y règne. Parce qu’il est rendu davantage célèbre par cette incroyable histoire de viol présumé de 27 filles par leur maitre coranique, Serigne Khadim Mbacké, qui a été ébruitée quelques jours avant le début du ramadan 2023. Son nom est encore plus prononcé sur les réseaux sociaux où des vidéos des parents de ses élèves circulent depuis des semaines. Depuis, cette école coranique est hermétiquement fermée. La méfiance est de mise ici et faire parler certaines victimes présumées est un exercice difficile. Il a fallu l’assistance du délégué de quartier mais aussi d’un parent pour, enfin, que deux parmi elles acceptent de se confier.
« Il a ôté à nos filles ce qu’elles avaient de plus précieux »
Réunis chez le délégué de quartier, ce dimanche matin, les parents de ces victimes présumées demandent que cette affaire soit tirée au clair. C’est parce qu’ils restent convaincus que rien ne se fera pour appréhender le Serigne Khadim Mbacké et le mettre hors d’état de nuire. « Il a traumatisé à vie ces filles et leur a ôté ce qu’elles avaient de plus précieux », dit, impuissant, un parent d’élève. Revenant sur la genèse des faits, un autre parent sous couvert de l’anonymat par peur de représailles confie : « Si c’était une personne dont le nom de famille n’était pas Mbacké, la justice l’aurait appréhendé depuis belle lurette. Cette affaire, nous l’avons sue depuis le dimanche qui a précédé le début du mois de ramadan. C’est la fille d’une voisine qui a ébruité l’affaire. »
Tout a éclaté lorsqu’une fille a refusé de retourner au daara
Le pot-aux-roses a été découvert par une fille qui avait refusé d’aller un jour faire ses cours, malgré les remontrances de sa maman. Après le départ de cette dernière au marché, elle s’en est ouverte à sa grande sœur pour lui dire qu’elle refusait d’aller étudier parce que le maitre coranique entretenait avec elle et toutes les autres filles des rapports sexuels. La fille a rapporté qu’il leur enduisait de l’eau bénite avant d’effectuer sa sale besogne. C’est ainsi que, comme une parole libérée, toutes les autres filles, devant leurs mères, ont avoué avoir été forcées par ce maitre coranique à faire des rapports sexuels. « Elles sont victimes de viols et d’attouchements par leur maître coranique », indique-t-on.
« Si je croise Serigne Khadim, je pourrais même le tuer »
Comme ces jeunes filles, leurs parents aussi sont traumatisés. « Je suis très peiné. Je ne peux même pas regarder en face ma fille de 10 ans. Si je le retrouve, je pourrais même le tuer », parie Pape Mbengue. À sa suite, Ngane Péne dit : « Je suis très peinée par le fait que ce marabout ait violé nos enfants. Moi, ma fille qui faisait ses humanités chez Serigne Lahat Gueye m’avait demandé de changer contre mon gré cette école pour poursuivre ses études chez Serigne Khadim Mbacké. Nous étions prêts à répondre à tous ses caprices. En sus de la scolarité mensuelle qu’on payait, on lui donnait chaque mercredi de l’argent. »
Bés Bi, le quotidien du groupe Emedia, a rencontré la fille par qui l’affaire a éclaté. Elle se confie : « Il (Serigne Khadim) avait l’habitude de faire faire à certaines d’entre nous des fellations, à d’autres de lui sucer le sexe jusqu’à ce que le sperme coule dans nos bouches. Et ensuite, il couchait chaque matin avec quelqu’un d’entre nous. Lasse d’obéir à cette pratique, je m’en suis ouverte à ma grande sœur. Elle m’a ensuite amenée chez la sage-femme en consultation. Cette dernière nous a envoyé chez un gynécologue. » Aussitôt que cette nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre, chaque parent a amené sa fille ou sa protégée en consultations chez la sage-femme.
« Pour nous dissuader de ne pas le dénoncer, il nous disait qu’il le saurait à travers son chapelet »
« Chaque matin, lorsque nous venons pour étudier, il nous demandait de passer dans sa chambre. C’est dans cet endroit qu’il abusait de certaines d’entre nous. Les plus jeunes, il leur caressait le sexe et mettait son doigt. Les moins jeunes, c’est-à-dire celles qui était âgées de 10 ans, après leur avoir fait sucer son sexe jusqu’à éjaculation, il leur imposait la fellation. Quant aux plus âgées, celles qui ont plus de 12 ans, il couchait avec elles. Après chaque rapport sexuel, il nous menaçait en ces termes : ‘’Si jamais vous tentez de le raconter, je le saurai à travers le chapelet que je porte par devers moi. »
Suivi psychologique et suite judiciaire : Les parents interpellent l’Etat et les organisations féministes
Coumba Gueye, mère d’une des victimes présumées dit : « Ce maitre coranique, qui avait notre confiance, a détruit la vie de ces petites filles. Il avait pu avoir deux dahiras ici. On avait recours à lui lorsqu’il s’agissait des baptêmes et des autres cérémonies religieuses. » Comme les autres parents des victimes, elle veut que sa fille puisse être suivie par un psychologue parce que certaines d’entre elles n’osent plus regarder les gens. Ils veulent aussi sentir l’implication de l’Etat, des organisations de défense des droits de la femme mais aussi de la protection des enfants.