Tout leur échappe de ce qu’ils voudraient maîtriser » mais ils continuent à arborer leurs costumes de scène. Une véhémence partisane, des assignations et des réquisitoires. Soulageant des consciences en exaltant des instincts de tueurs. Livrant quiconque à une vindicte pour faire « abdiquer la liberté de l’esprit à laquelle il faut tenir ». Un jeu politicien tel qu’« on ne croit plus que ce qui nous arrange, au sein d’un horizon de pensée de plus en plus restreint, et l’on a perdu confiance dans le reste ». L’ambition serait d’avoir des bidons d’essence et des allumettes pour signer sa célébrité. Sans regret ni remord, semer l’ignominie et la mort. « Non, un homme ça s’empêche… », écrivait Camus dans son livre posthume Le premier homme. Pour Jean-François Mattéi, auteur de Citations de Camus expliquées, « quelle que soit la situation, (…) il y a des choses que l’on ne fait pas quand on est un homme. (…) Un homme exprime son humanité en refusant certains actes ».
« Les leçons de la vie doivent être apprises, sinon on continue à errer vers l’inconnu » (Taha-Hassine Ferhat, dixit). Et demain serait encore macabre. Comme hier et aujourd’hui. Les assassinats de Me Babacar Sèye (15 mai 1993) et de six (6) policiers (16 février 1994 à la suite d’une manifestation de l’opposition)… les victimes de 2012… les onze (11) morts du 3 mars 2021… « De nos jours, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien », disait Oscar Wilde. Et le prix pour être au pouvoir semble valoir plus que la valeur des vies humaines. Par ailleurs, le 1er décembre 1963, des manifestants ne scandaient-ils pas : « À bas Senghor, tous aux palais ! » C’était lors des premières élections présidentielle et législatives. Des affrontements avec des forces de l’ordre… Quarante (40) morts selon un document d’archives de l’Ina (Institut national de l’audiovisuel – France). Une polémique sur le nombre de victimes toujours pas résolue ! Senghor accusait l’opposition d’avoir ouvert le feu en premier sur des forces de l’ordre et de s’être servie de personnes de nationalités étrangères.
« Le sentier que jamais tu ne dois fouler »
Malgré ses insuffisances, le jeu démocratique a permis deux alternances. Jamais encore une dévolution violente du pouvoir. Le pays n’avance pas par explosion à la suite d’une crispation. Les élections municipales de 1960 à Saint- Louis qui s’en souvient encore ? Une farouche bataille contre une fraude élec- torale, la première femme sénégalaise emprisonnée pour des raisons poli- tiques. Thioumbé Samb, « alliant le verbe à l’action avait lancé ce mot d’ordre : l’heure est grave, en avant à l’assaut des urnes contre les voleurs ». Une lutte armée des maquisards du Pai avec la « guérilla du Sénégal-Oriental » en 1965… La traque des militants de ce parti, des arrestations, des tortures… Que dire de Mai 1968… voire des arrestations des militants de Xare bi en 1975 dont une femme journaliste alors enceinte et qui perdra sa grossesse en prison… La crise politique de 1988, des « attentats à la voiture piégée »…
Que reste-t-il des riva- lités, parfois incendiaires, des années 1950 entre la Sfio et le Bds quand Senghor disait dans des meetings : « Je ne peux rien faire pour le pays car quand je construis, papa Lamine détruit – bu may gas papa Lamine di suul » ?
« Le chemin se fait en marchant Et quand tu regardes en arrière Tu vois le sentier que jamais Tu ne dois fouler… », chantait Antonio Machado. Faudrait-il être lucide. D’après Jean-François Payette, la « lucidité est l’acte par lequel la conscience se ressaisie elle-même, mais en introduisant dans son rapport au monde de nouvelles médiations capables d’imprimer sur la réalité une colo- ration… ». Pour Myriam-Revault d’Allonnes, dans son essai sur le mal politique, Ce que l’homme fait à l’homme : « Que la politique soit maléfique, qu’elle charrie avec elle tout un défilé de pratiques malfaisantes, implacables ou perverses, c’est là une plainte aussi vieille que le monde. La politique est le champ des rapports de forces. La passion du pouvoir corrompt. L’art de gouverner est celui de tromper les hommes. L’art d’être gouverné est celui d’apprendre la soumission, laquelle va de l’obéissance forcée à l’enchantement de la servitude volontaire. Personne n’ignore ces banalités, et pourtant elles n’en existent pas moins. »
Aujourd’hui, des populations n’utilisent-elles pas ces mots de Deleuze et Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie : « Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos ». Au demeurant, relisons ces mots de Camus recevant son prix Nobel de littérature en 1957 : « Chaque généra- tion, sans doute, se croit vouer à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne la refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »