POLITIQUE
Horizon – Danièle Sassou-Nguesso, présidente de la Fondation Sounga : «Nous avons beaucoup à apprendre du Sénégal et des femmes sénégalaises»
Belle-fille du Président Denis Sassou-Nguesso de la République du Congo, Danièle Sassou Nguesso était de passage à Dakar pour prendre part à l’événement Africa MiTH, organisé par Hapsatou Sy. Dans cet entretien, elle parle de Sounga, sa fondation qui lutte pour l’autonomisation et contre les discriminations à l’égard des femmes.
Vous êtes au Sénégal dans le cadre d’une rencontre en tant que présidente de la Fondation Sounga. Pouvez-vous nous parler de cette structure ?
La Fondation Sounga existe depuis 2015 en République du Congo. C’est une fondation qui est reconnue d’utilité publique, également membre du Conseil économique et social des Nations unies (Ecosoc). Sounga signifie littéralement en lingala «aide». C’est une fondation qui accompagne les femmes vers davantage d’autonomisation, de participation à la prise de décision et aussi d’intégration dans les prises de décision en République du Congo. La Fondation Sounga, c’est un certain nombre de programmes, mais le plus important, c’est un incubateur à l’entreprenariat féminin, le premier du genre en République du Congo, où nous accompagnons les porteuses de projets. La Fondation Sounga, c’est aussi un processus de labellisation. Nous notons des entreprises aussi bien du public que du privé en fonction du degré d’insertion de la femme dans la structure, une académie de leadership, un projet désormais itinérant et nous sillonnons les villes francophones africaines et nous proposons un programme de 3 jours de formation axée aussi bien sur l’entreprenariat que le leadership. La Fondation Sounga, c’est également Le Dîner de Danièle, une rencontre de réseautage, networking et échange entre femmes et également du lobbying, parution d’ouvrages.
A part le Congo, est-ce que la fondation mène des activités dans d’autres pays en Afrique ?
Nous sommes enregistrés en République du Congo, mais là nous avons l’académie du leadership dont la dernière édition s’est déroulée à Kinshasa. Nous travaillons sur une édition en fin d’année à Libreville au Gabon. Il nous arrive de sortir ou d’être invité, comme c’est le cas ici au Sénégal. J’ai été invitée à prendre part à l’évènement Africa-MiTH, organisé par Hapsatou Sy, qui se veut être une grande rencontre entrepreneuriale. Nous allons également organiser ici à Dakar une édition du Dîner de Danièle, où nous allons rencontrer 9 femmes au profil inspirant. Nous allons essayer d’échanger pour voir quelles sont les synergies qui peuvent découler de telles rencontres.
Ça fait maintenant des années que la fondation existe. Est-ce que les objectifs sont atteints ?
La Fondation Sounga est très bien implantée en République du Congo. Si je suis aujourd’hui au Sénégal, invitée en tant que représentante de la Fondation Sounga, c’est que nos projets font écho au-delà de nos frontières et on peut en être fier. En ce qui concerne les avancées sur le terrain, il y a un regain, un changement de mentalité au Congo Brazzaville. Les jeunes filles de la nouvelle génération ont décidé de prendre leur destin en main, le message est passé, elles s’éloignent des conflits sociaux et sont davantage désireuses de s’impliquer dans le processus de développement inclusif au sein de la République du Congo.
Qu’est-ce qui vous a motivée pour la mise en place de cette fondation ?
Je suis Gabonaise de père et de mère. Je suis devenue Congolaise de cœur, deux pays frontaliers à une heure par avion et pourtant avec des mentalités totalement opposées. En République du Congo, j’ai été véritablement confrontée à la question de genre, c’est la première fois que j’ai palpé tout ce que qui pouvait être discrimination entre les hommes et les femmes. J’ai longtemps eu l’impression que je n’étais pas à ma place, je cherchais à comprendre les us et coutumes, ainsi que les différents conflits sociaux, les bien-fondés du poids de la culture, notamment patriarcale, et j’avais deux solutions : j’en tirais l’avantage de me fondre dans le moule, et ça n’a pas marché, donc j’ai décidé de militer en faveur de l’émancipation de la femme. Je suis contente aujourd’hui d’avoir réussi à drainer une communauté autour de moi et aussi de voir cette jeune génération qui vient de partout et qui a décidé d’avoir une vision différente, une vision qui tend vers l’égalité, notamment au niveau des droits entre les hommes et les femmes.
Quel est votre regard sur la situation des femmes au Sénégal ?
Personnellement, j’ai été agréablement surprise parce que quand on est dans un pays où la religion musulmane est plus présente, on pourrait avoir des idées préconçues, imaginer la femme bridée, notamment au niveau de ses actions et de sa participation à la vie politique. Au Sénégal, c’est tout autre chose que j’ai eu à découvrir, c’est la parité à l’Assemblée nationale. Le Sénégal et le Rwanda sont les bons élèves. Et les femmes ici, évoluent dans tous les secteurs d’activités économiques, sociales, politiques, culturelles. Il y a eu une femme Première ministre que j’ai eu à rencontrer. Et cela, on ne l’a pas encore en République du Congo. Donc oui, nous avons beaucoup à apprendre du Sénégal et des femmes sénégalaises. Comment elles ont réussi à s’imposer, notamment en ce qui concerne la parité, et de faire des métiers qui traditionnellement étaient réservés aux hommes. Au Sénégal, véritablement j’ai été conquise par la détermination et l’ambition des femmes sénégalaises à vouloir occuper une véritable place dans la société et ne pas jouer les seconds rôles.
Pour en revenir à votre fondation, par quel moyen les projets et programmes sont financés ?
Nous évoluons dans l’entreprenariat social et on vit de dons et de subventions. Je ne me mets pas de limites, en tout cas, quand je pense à un projet et que je décide de le déployer au-delà de nos frontières de la République du Congo, je pars avec le mental de l’entrepreneur, celui qui pense le projet et qui veut le mener à terme.
Vu votre notoriété, est-ce qu’il n’arrive pas que des donateurs investissent pour espérer des retombées ou pour protéger leurs intérêts ?
En ce qui concerne mon nom, vous serez peut être surprise de savoir qu’à bien des égards, ça m’a desservi plutôt que servi parce que justement quand on travaille dans l’entreprenariat social et qu’on a besoin de subventions, les gens pensent que quand on porte ce nom, on est capable de mener les actions toute seule. Je tiens à préciser que la Fondation Sounga est membre de l’Ecosoc. Nous sommes donc obligés d’auditer nos comptes chaque année. Je ne pense pas avoir plus belle carte de visite que celle des Nations unies. A partir du moment où ils acceptent de nous donner leur caution, leur aval, c’est que sur tout ce qui se passe sur le volet financier, nous sommes suffisamment clairs, propres et bien définis pour avoir la légitimité.
La reconnaissance des Nations unies est votre seule légitimité ?
Non, la légitimité, c’est aussi les retombées, les avancées, les changements de mentalité, les milliers voire millions de femmes qui ont décidé d’adhérer. Avec la Fondation Sounga, ce sont près de 80 Petites et moyennes industries (Pmi) qui ont été créées et accompagnées grâce à notre incubateur, ce sont 800 femmes qui ont obtenu une certification aujourd’hui avec l’académie de leadership. Avec les labellisations, les entreprises sont plus regardantes sur les écarts dans le traitement entre hommes et femmes.
A Dakar, vous allez organiser votre dîner. Qui seront les invitées ? Et quelles sont les attentes ?
Lors du Dîner de Danièle, nous avons sélectionné un panel assez représentatif de la société. Presque tous les secteurs d’activités seront représentés lors de ce dîner. Et le but, ce n’est pas un partage d’expérience, c’est d’essayer de trouver des synergies, de les déployer pour voir ce que nous pouvons faire ensemble une fois que nous aurons réussi à joindre nos forces et parler de ce que nous savons faire. La plus grande force, c’est le réseau qui est un véritable booster de carrière. Avoir un réseau, c’est plus important que d’avoir le pouvoir, c’est beaucoup plus fort que d’avoir de l’argent. Quand on possède un réseau, on a le pouvoir et l’argent. La difficulté chez les femmes, c’est qu’elles ont des réseaux très faibles par rapport aux hommes. Quand une femme décide d’entreprendre et qu’il lui faut avoir accès aux financements, elle se tourne vers ses amis, sa famille proche, tandis que les hommes tout au long de leur évolution ont eu accès à un réseau beaucoup plus large, ils sont capables d’aller chercher des financements ailleurs. Le jour où je souhaiterai déployer mes projets de façon plus large au Sénégal, je pourrai m’appuyer sur ce réseau que je suis en train de constituer via le Dîner de Danièle au Sénégal. Ce séjour, c’est aussi pour prendre part au MiTH, où je vais tenir une conférence de deux heures sur la thématique de l’Océan bleu : comment sortir des marchés jugés hyper concurrentiels pour aller vers des marchés à faible concurrence pour générer du profit et permettre aux structures d’éviter la faillite. L’Océan bleu, à l’inverse de l’Océan rouge, c’est cet environnement concurrentiel où on a réussi à trouver une innovation à son produit, à lui apporter une valeur ajoutée, une Adn, une âme qui nous met à l’abri de la concurrence. Ce qui est intéressant avec cette stratégie, c’est qu’elle peut être déployée dans le secteur professionnel, privé, entrepreneurial. Je dirai aux femmes de chercher cet océan bleu qui nous mettra à l’abri de toute concurrence et nous apporte paix et sérénité pour entrevoir des projets beaucoup plus grands.
Propos recueillis par Dieynaba KANE