SOCIETE

NOTES : Agriculture, les défis de 2024

Parmi les lourds dossiers que le Président Macky Sall va laisser à son successeur, il y aura, en très bonne place, le problème de l’agriculture. Un dirigeant avisé devrait peut-être même placer cette question au premier plan de toutes ses priorités, si l’on voit à quel point les problèmes d’alimentation ont ébranlé les projets les mieux ficelés du Président Macky Sall. Comme Abdoulaye Wade avant lui, le chef de l’Etat a très tôt voulu faire de l’autosuffisance alimentaire l’un des piliers de sa politique de développement. Dès son arrivée au pouvoir en 2012, Macky Sall s’est fixé pour objectif d’en finir avec l’importation du riz, car le pays devrait être en mesure de produire ce qu’il consommait.

Il a mis en 2014, le Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar). Pour conduire cette politique, il a mis à l’Agriculture l’un des plus grands, sinon le plus grand spécialiste mondial de la question du riz, Dr Papa Abdoulaye Seck. Ce dernier a déclaré que le pays produirait, en 2017, au moins 1, 6 million de tonnes de riz paddy. De quoi satisfaire la demande nationale. Pour faire bonne mesure, et ne pas faire croire que la vision du ministre Seck s’arrêtait aux champs de riz, le gouvernement lança le volet agricole du Plan Sénégal émergent (Pse), à savoir le Pracas ou Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture.

Dans ce cadre, dès 2014, le Sénégal devait produire 1 million de tonnes d’arachide, réaliser l’autosuffisance en oignon et pomme de terre, entre autres, l’accroissement de la production des produits horticoles comme la mangue ou l’anacarde.

Les moyens n’ont pas manqué pour atteindre ces objectifs. Dès l’entame, le ministre de l’Agriculture, sous la houlette du chef de l’Etat, a entrepris à pas cadencés de renouveler le matériel agricole de tous les producteurs. L’accès aux intrants a, théoriquement, été facilité, ainsi que les conditions du crédit, même pour les producteurs les plus endettés. Ainsi, l’Etat pouvait se vanter d’injecter chaque année, jusqu’en 2017, au moins 60 milliards de francs Cfa dans le monde rural, à travers la Banque agricole (Lba, ancienne Cncas) et des institutions financières décentralisées. Après cette période, c’est un minimum de 70 milliards qui ont été décomptés comme versés dans l’agriculture, à travers différents programmes. Aujourd’hui, pour le dernier budget de 2024, c’est au moins 100 milliards de Cfa que l’Etat a programmé. Un vrai record.

Néanmoins, des spécialistes mettent un bémol sur ces déclarations, parce qu’ils ont des doutes sur l’utilisation de ces ressources et la fiabilité des chiffres avancés. Certains indiquent que, déjà bien avant Papa Abdoulaye Seck et après ce dernier, tous les ministres de l’Agriculture ont toujours voulu nous faire prendre des vessies pour des lanternes. S’agissant des données de la production du riz et de l’arachide par exemple, les autorités n’ont jamais accepté que les chiffres officiels soient remis en question. Ainsi, en 2018, alors que le pays déclarait officiellement avoir produit 1 million 206 mille 587 tonnes de riz, les importations n’ont pourtant pas baissé, allant même en croissant. Aujourd’hui, les exportations ont atteint près de 2 millions de tonnes, si l’on se fie à l’Ansd. D’ailleurs, ce n’est toujours pas évident de trouver du riz local dans les grandes villes du Sénégal. La situation de l’oignon également ferait pleurer les ménagères. Si la production est déclarée suffisante avec plus de 400 mille tonnes, elle ne couvre pas la consommation nationale, du fait des problèmes liés à la conservation.

Quant à l’arachide, elle est censée avoir atteint 1 million 500 mille 588 tonnes en 2018, avec plus de 250 mille tonnes exportées, essentiellement par le biais des négociants chinois. Or, les unités locales de transformation de l’huile ne parviennent plus, depuis de nombreuses années, à se fournir en quantités suffisantes pour faire tourner leurs machines. Au point que la Sonacos a dû, lors de la dernière campagne de commercialisation, renoncer à recruter plusieurs journaliers qui ne comptaient que sur ses usines pour pouvoir «assurer leur soudure».

En fait, le secteur agricole a perdu des parts même dans des spéculations où il était le plus fort. La filière interprofessionnelle de la tomate a été déstructurée du fait d’une libéralisation sauvage, qui a fait qu’à la place d’un opérateur industriel qui garantissait des revenus stables aux producteurs de tomate de la vallée du fleuve, nous avons aujourd’hui trois «transformateurs» qui, malgré leurs promesses de remontée de la filière, ne peuvent plus nous garantir une autosuffisance de tomate, et nous laissent, comme dans tous les autres domaines, à la merci des importations, principalement chinoises.

Depuis longtemps, les chercheurs dans le domaine agricole tentent de convaincre les autorités politiques de suivre les process pour parvenir à l’autosuffisance agricole. L’un des plus gros problèmes de ce pays a malheureusement toujours été de subordonner l’expertise scientifique à la volonté politique. Wade et Macky Sall ont décrété qu’ils allaient réussir le pari de l’autosuffisance alimentaire à très court terme, en donnant des terres et de l’argent à des spéculateurs. Leurs collaborateurs n’ont jamais voulu ou osé leur indiquer le besoin de respecter les étapes et la nécessité de mettre les ressources du pays là où elles pouvaient être vraiment utiles. Les crises alimentaires de 2008, ainsi que celles nées de l’épidémie du Covid-19 ou de la guerre russo-ukrainienne n’ont pas vraiment permis de changer véritablement de paradigme. Il faut souhaiter que le dirigeant qui viendra en avril 2024 comprenne que Macky a déjà construit les pistes de production. Lui devra se donner pour tâche de faire en sorte que les produits agricoles du monde rural empruntent lesdites pistes.

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