TECHNOLOGIE
Quand les chromosomes s’emmêlent
Chez les bovins, comme chez tous les animaux, le matériel génétique est contenu dans des paires de chromosomes, dont chaque exemplaire est réparti aléatoirement lors de la formation des gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes). Au cours de ce processus, il peut arriver que du matériel génétique d’un chromosome se déplace vers un autre n’appartenant pas à la même paire, c’est ce que l’on appelle un réarrangement interchromosomique. La fécondationavec un gamète contenant un ou plusieurs chromosomes réarrangés causera un manque ou un surplus de gènes chez l’embryon et aboutira dans la plupart des cas à sa mort.Pour la première fois, des généticiens d’INRAE, en collaboration avec la société ELIANCE, ont mené une étude de population (sur 5 571 taureaux d’insémination) pour quantifier l’occurrence de ces anomalies, leurs origines et leurs conséquences pour les animaux. Leurs résultats, publiés dans Genome Research, montrent qu’1 taureau sur 450 serait porteur d’un réarrangement interchromosomique, avec des conséquences sur la santé et la fertilité des animaux touchés qui coûteraient à la filière plus d’1 million d’euros par taureau d’insémination porteur.
Cette étude se base sur les millions de données de génotypage générées en routine pour l’évaluation génomique des taureaux d’insémination et de leurs descendants. L’approche utilisée est la première étape vers un dépistage généralisé de ces anomalies chromosomiques.
Les réarrangements interchromosomiques sont des échanges de matériel génétique entre 2 chromosomes n’appartenant pas à la même paire. Ils apparaissent en général lors de la formation des gamètes. Dans la large majorité des cas, les anomalies induites conduisent à la mort précoce de l’embryon. Dans d’autres cas, les réarrangements chromosomiques peuvent avoir des conséquences pathologiques graves comme cela a été démontré chez les humains.
Tous les animaux sont susceptibles d’être touchés, sans distinction de sexe ou de race, qu’ils soient reproducteurs ou non. Le recours fréquent à l’insémination animale fait que les populations bovines sont particulièrement exposées aux aléas d’une diffusion massive de la semence de taureaux porteurs sains (non affectés eux-mêmes) de ces mutations. Pourtant, jusqu’alors, aucune analyse à large échelle n’avait été menée afin d’étudier la prévalence des réarrangements interchromosomiques, leurs origines et leurs impacts sur les animaux et la filière bovine.
Des analyses génétiques faites sur 5 571 taureaux et leurs 2 millions de descendants, de 15 races L’étude a porté sur 5 571 taureaux de 15 races, pour un total de plus de 2 millions de descendants. Pour leurs analyses, les généticiens ont exploité 50 000 marqueurs balisant le génome de chaque descendant. Ces marqueurs sont utilisés en routine dans le cadre des évaluations génomiques des reproducteurs.
Les chercheurs ont étudié les milliards de combinaisons possibles de couples de marqueurs de chromosomes différents afin de déterminer s’il existait des transmissions préférentielles démontrant l’existence d’un réarrangement interchromosomique. Ils ont également estimé les effets de ces anomalies sur des caractères de santé, de survie et de reproduction des descendants à l’aide des millions de données sur ces caractères enregistrées dans les bases de données zootechniques nationales.
Photo de FISH (Fluorescence in situ hybridization) réalisés lors de l’étude. Les points verts sont des molécules fluorescentes hybridées à une région spécifique du chromosome 4, les rouges sont spécifiques du chromosome 8. Le fait de retrouver sur un même chromosome les marques des deux couleurs sont la signature d’un mouvement d’ADN. En d’autres mots, c’est la preuve d’un réarrangement interchromosomique.