Au fil du temps, le geste de ces femmes est devenu d’une gravissime banalité pour tous les habitants de la zone menaçant l’écosystème de toute cette localité.Autre temps, autres mœurs. Parfois, c’est un passant qui finit de boire son sachet d’eau depuis sa voiture qui fait du bassin sa poubelle. Aujourd’hui des montagnes de déchets jonchent le bassin et l’empêchent de jouer son véritable rôle. « Pourtant, les camions de ramassage d’ordures passent tous les jours dans les quartiers. Alors les riverains doivent prendre conscience que le bassin n’est pas un lieu de reversement de déchets. Sinon mettre une police qui veillera aux sanctions. Puisqu’on ne cesse de parler », déplore Assane Gaye, délégué du quartier Sante Yalla et coordonnateur du Comité Local d’Initiatives et de Gestion des Eaux Pluviales (COLIGEP). Lui en appelle à la responsabilité de sa communauté.
Très à l’aise dans son habit traditionnel de couleur mauve le cœur lourd de peine, Assane Gaye la soixantaine embraie : « On ne cesse de faire des actions de sensibilisation. Des visites à domicile même sont faites. Du travail de nettoyage avec les badiénous gokh qui sont des relais communautaires. Mais elles doivent aussi nous aider. »
Un service d’assainissement qui fait défaut
De près, le bassin de Djiddah-Thiaroye Kao s’étend sur une superficie de 52 000 m2. L’immensité de ce gros récipient d’eau se trouve à califourchon entre les quartiers de Darou Rahmane Pikine et Sante Yalla. La couleur verdâtre de l’eau renseigne sur la forte présence de micro-algues et de saletés qui composent le décor de ce bassin de rétention des eaux pluviales. Sur la route qui mène vers le bassin, un camion d’Unité de Coordination de la Gestion des déchets solides (UCG)fait la navette.
De très loin, la poussière est visible, à cause des multiples va-et-vient de camions sur le site. Le moins, que l’on puisse dire, c’est que les riverains de Djiddah-Thiaroye Kao ne vivent pas dans un environnement sain.Ici, le service d’assainissement n’est pas bien assuré au grand dam des populations confrontées à de nombreux problèmes.
A Djiddah Thiaroye Kao, la municipalité ne reste pas les bras croisés. Mercredi 19 juillet 2023, on retrouve Paul Marie Bakhoum, un agent de la mairie, lunettes de soleil bien vissées, chemise carrelés, casquette à la tête, M. Bakhoum est au cœur du dispositif pour débarrasser le bassin de la saleté. Sous le feu de l’action, il pointe du doigt un agent et de l’autre, il donne des directrices aux agents d’UCG faisant le point des travaux. « C’est une demande sociale que la municipalité exécute », savoure-t-il dans un savoureux mélange de mots wolofs et français. Lui s’empresse de préciser qu’il fut un temps : « Voir le bassin de loin était quasiment impossible avec la présence énorme de Typhas qui créaient même une sorte d’insécurité. Les citadins ont rapporté même la présence de reptiles sur les lieux. »
Les habitants au banc des accusés
Pourquoi en est-on arrivé là avec ce bassin devenu le Mbeubeuss (dépotoir d’ordures) aquatique de la localité ? C’est que ce grand récipient de rétention des eaux pluviales est devenu depuis des années un nid de déchets ménagers. Plus grave, un terreau fertile pour l’éclosion de reptiles de toute sorte. C’est aussi un lieu de prolifération de moustiques. Un danger pour les populations, notamment pour les enfants à bas âge.
Il a été aussi constaté sur place, des bouchons réguliers dus à l’infiltration du sable et des déchets à l’intérieur des réseaux d’assainissement. Des tas de déchets organiques, de plastiques et de ferrailles sont parsemés tout au long de la route qui mène vers ce bassin de rétention.
De ce fait, le bassin qui devait permettre de gérer ce flux en eau est devenu un stockage d’ordures en tout genre créant des problèmes sanitaires et environnementaux. « Mais le travail n’a pas été facile. Parce que le bassin n’abritait pas seulement avec les typhas, mais nous avons constaté de nombreux déchets reversés par la population riveraine », accuse l’agent de la municipalité.
C’était déjà, lors de la campagne électorale, l’actuel maire avait promis le faucard du bassin une fois élu.Pourtant, cette décision, de nettoyer de fond en comble le bassin ne relève pas de ses compétences. Depuis des efforts, sont consentis par les autorités municipales pour accomplir cet objectif qui tient à cœur l’équipe de la mairie de Djiddah-Thiaroye Kao.
Paul Marie Bakhoum, le dégourdi agent municipal explique tout de même le retard accusé dans l’exécution des travaux : « Au début du mois de juin dernier. Parce que nous travaillons avec des données techniques. Si on charge 100 camions de déchets, on ne peut pas venir le déverser comme ça à Mbeubeuss (dépotoir d’ordures).On a une convention avec UCG. Alors après avoir chargé les déchets dans le camion des bons seront remis aux transporteurs de ces déchets pour faciliter le déchargement. Et c’est ce qui a été un frein.»
Mais PressAfrik a appris que depuis plus de 8 ans, la population n’a de cesse d’inviter les autorités municipales à prendre ce problème du bassin à bras le corps et de lui trouver une solution. Mais la réponse de la municipalité était toujours « que l’assainissement n’était pas de leur ressort ». Et pourtant, il est clair que l’assainissement n’est pas une compétence transférée, mais les communes se chargent du curage et de l’entretien des bassins de rétention d’eau. Surtout que lors des élections locales, des maires dans leur programme, promettaient de solutionner ces problèmes d’assainissement une fois aux commandes. On a également tenté de joindre M. Pédre Sy directeur d’exploitation de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS) en vain. D’ailleurs un message lui a été envoyé sans réponse.
Entre insécurité et environnement malsain, la Population n’en peut plus
A Djiddah-Thiaroy Kao, le bassin devient de jour en jour problématique. Et le comble, c’est qu’il a fallu, une visite du Cadre de réflexion et d’action des journalistes sur l’hygiène, l’eau et l’assainissement (CRAJEA), le 18 juillet 2023 sur les lieux et la mise en garde des riverains qui étaient en rogne pour que la municipalité décide du faucard du bassin le jour suivant à savoir le (19 juillet).
Abdoulaye Konté dirige le mouvement « And Dieulé Fi Mbaliteu mi ». Il dit : « On leur avait donné un délai, et c’était le mardi. Aujourd’hui, ils se sont levés avec des camions qui circulent autour du bassin maintenant, on reste à l’écoute. Et jeudi est le dernier délai, s’il n’enlève pas ses déchets carrément du bassin, nous comptons descendre dans la rue. Barrer toutes les routes.»
La bave à la bouche, Abdoulaye Konté continue de vider son sac. « Il est difficile pour nous les riverains d’allumer la lumière sans être envahis par des moustiques qui rôdent autour du bassin, donc ça peut plus continuer.Nous savons tous que le bassin est géré par les services de l’Onas, mais son entretien est du ressort de la mairie.Parce que depuis la mort du gardien, il n’a pas cherché à le remplacer. Et pourtant s’il avait pris l’initiative de prendre dans le quartier deux jeunes qui vont faire la ronde, le bassin ne serait pas aussi dégradant qu’il l’est », déplore celui qui dirige le le mouvement «And DieuléFi Mbaliteu mi».
Ici, l’odeur fétide oblige les passants et riverains à se boucher le nez pour ne pas respirer cet air répugnant.Sans compter les reptiles qui sortent de ce site pour s’engouffrer dans les maisons. Malgré ce danger qui guette les lieux, des enfants qui échappent au regard de leurs parents se retrouvent sur ces lieux pour jouer au foot. Des enfants-talibés squattent aussi les abords du bassin pour retirer de la ferraille à vendre.
Penda, trouvée devant sa maison, est aussi inquiète du danger que génère le bassin. « J’ai fait 12 ans dans ce quartier. Notre quartier a une odeur nauséabonde, c’est ce que je peux dire. Le maire Modou Gueye nous a tenusque des promesses électorales. Personne n’ose s’assoirdevant la porte de sa maison prendre l’air, encore moins laissez nos enfants jouer dehors. Pour ne pas arranger les choses, il se pose un problème de sécurité, parce que les agresseurs après avoir commis leur forfait viennent se cacher aux alentours du bassin », avoue impuissante cette mère de famille.
dix (10) âmes innocentes englouties par le Bassin de Djidah-Thiaroye Kao
Le Bassin de Djidah-Thiaroye Kao demeure aussi un endroit cauchemardesque pour les familles qui ont perdu leurs enfants. Dans cette banlieue, la famille Diouf, une des victimes garde encore en mémoire les derniers jours de leur fils parti pour jouer, dans ce bassin où il a été retrouvé mort. 10 Victimes innocentes, des enfants à la fleur de l’âge ont été engloutis dans ce bassin selon un décompte macabre.
Trouvée chez elle en train de faire le linge, RokhayaDiouf, la maman de la dixième victime du bassin se souvient de ses moments d’instants douleurs. « Mon fils Birahim était âgé de 3 ans deux mois au moment des faits. Et si je ne me trompe il était la dernière personne à perdre la vie dans ce bassin », explique-t-elle triste.Quand elle se rappelle de ce terrible drame, RokhayaDiouf a les yeux embués de larmes, mais elle tente de faire bonne figure à l’image de toutes ces braves dames obligées de côtoyer saleté, odeur nauséeuse et drame familial.
« Je pense que les morts n’ont pas fait entendre raison nos autorités. Je vous informe que je suis passée là-bas dernièrement, mais j’ai remarqué que le mur du bassin s’est affaissé. J’ai encore pensé à mon autre fils que j’ai laissé à la maison », regrette t-elle.
Auparavant neuf autres enfants ont perdu la vie dans ce bassin. C’est que nous explique Mamadou Badiane, initiateur du mouvement M9 à l’honneur des disparus. Avant de déplorer le manque de suite judiciaire.
« Le bassin a été un grand problème avec son lot de décès. Et malheureusement, il n’a pas eu de suite judiciaire. Neuf enfants ont perdu la vie. Ce que je peux vous dire est qu’il y a pas eu de suite judiciaire. Comme toujours les infrastructures sont mal faites .»
Soda, nom d’emprunt