POLITIQUE

Coup d’Etat au Niger et division dans la CEDEAO : doit-on craindre le pire pour l’Afrique de l’Ouest ?

La prise du pouvoir au Niger a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui, deux camps semblent se faire face. Le premier composé des pays soutenant l’initiative de la CEDEAO afin de rétablir le Président Bazoum dans ses fonctions et lui restituer la volonté constitutionnelle, quid à recourir à l’intervention militaire ; et le second groupe de pays s’y opposant, qui rejettent les sanctions de la CEDEAO et brandissent des menaces en cas d’intervention militaire de l’organisation. Ce sont pour la plupart des pays putschistes, comme le Burkina Faso, le Mali et la Guinée. En outre, il y a d’autres pays qui ne font pas partie de la CEDEAO, tels que l’Algérie et la Mauritanie qui promettent de soutenir le Niger, en cas d’intervention militaire. Cette myriade de soutiens a donné confiance aux putschistes qui n’hésitent pas à défier la CEDEAO et à prendre des mesures drastiques vis-à-vis des pays occidentaux, dont la France.

De la remise en question de la CEDEAO
Le cas actuel du Niger inquiète et exige une prise de conscience de part et d’autre pour une sortie de crise sans conséquences néfastes majeures. Pour ce faire, le général Thiani devrait faire preuve de responsabilité et de sagesse car, une intervention musclée de la CEDEAO aura des retombées désastreuses pour le Niger qui, rappelons-le, fait partie de la zone des trois frontières qui cristallisent une grande part des attaques terroristes. La CEDEAO est dans sa logique. Elle doit être la garante du respect de la Constitution et des principes démocratiques.

D’autant plus que sa crédibilité et sa légitimité sont en jeu, surtout au vu du ton adopté dès le début de la crise face à la défiance des putschistes. Elle a la responsabilité de mettre fin aux coups d’Etat militaires, mais aussi constitutionnels, dont usent certains dirigeants pour conserver le pouvoir. Les coups d’Etat militaires sont une résultante des coups d’Etat constitutionnels. Ceci donnerait plus sens à la CEDEAO des peuples et éviterait que l’organisation ne serve d’instrument pour les seuls intérêts des dirigeants. Car, il faut l’admettre, la CEDEAO est en crise et continue de perdre sa crédibilité par le non-respect de ses décisions par les putschistes (Mali, Burkina Faso, République de Guinée).

Une telle déchéance, en plus du mutisme sur le tripatouillage des constitutions, est due à une soi-disant mainmise, telle une ingérence de la France qui dicterait à la CEDEAO ses décisions. Une position à relativiser d’autant plus qu’elle est brandie par certains panafricanistes selon lesquels, le rejet de la France et l’accueil de la Russie seraient la solution pour que l’Afrique sorte de cet éternel recommencement. Ceci pose, d’ailleurs, l’angle géopolitique de la situation de l’Afrique de l’Ouest en général, et du Niger en particulier.

Alors qu’elle fait face à plusieurs obstacles relatifs à son intervention militaire, la CEDEAO peut-elle maintenir la fermeté ou va-t-elle se rabibocher ? Dans tous les cas, les putschistes semblent avoir une longueur d’avance et ne cessent de narguer la CEDEAO.

De la guerre d’influence entre la Russie et l´Occident : sentiment antifrançais ou rejet de la politique africaine de la France ?
L’Afrique devient un champ de bataille entre les grandes puissances qui ne roulent que pour leurs intérêts. L’Afrique ne cesse de subir la géopolitique mondiale et constitue un enjeu de puissance. La crise actuelle au Niger semble nous plonger de nouveau dans ce schéma avec la France qui soutient les initiatives de la CEDEAO pour le retour à l’ordre constitutionnel et une supposée intervention de WAGNER si l’intervention militaire venait à être lancée. Une situation compliquée davantage par la prise en otage du président Mohammed Bazoum, détenu par les putschistes et le soutien des autorités militaires du Mali, du Burkina Faso et de la République de Guinée. Un affrontement armé mettrait en péril la sécurité de Bazoum et celle de sa famille.

Encore que la population ait pu, au fil du temps, se rallier à la cause des militaires, donnant l’impression que les putschistes sont des opportunistes qui parviennent à trouver un bouc-émissaire pour convaincre la population de les soutenir. Par ailleurs, une guerre entre pays de la CEDEAO serait vraiment regrettable. Au moment où l’Afrique a plus que jamais besoin d’être soudée et de parler d’une seule voie, des divisions éclatent. L’Afrique de l’ouest est en proie à une crise multiforme avec la situation sécuritaire complexe liée au terrorisme et à la criminalité organisée. La montée du terrorisme dans la sous-région ouest africaine est une réalité, en témoigne la propagation du fléau dans le Golfe de Guinée avec les pays côtiers qui subissent de plus en plus des attaques. Donc, les coups d’Etat sont inopportuns dans ce contexte : ils plongent les pays concernés dans un recul démocratique et portent ombrage à la lutte contre l’insécurité.

Le coup d’Etat au Niger apparaît ainsi comme un moyen pour la Russie d’étendre son influence en Afrique. Les intérêts de la France et des USA sont plus que menacés. La Russie a déjà réussi dans les autres pays à faire quitter la France et à occuper l’espace. Au Niger, l’opinion publique affiche de plus en plus sa préférence pour la Russie au détriment de la France, considérée comme une puissance d’occupation. Une perception qui ne cesse de prendre de l’ampleur au Sahel et qui joue en sa défaveur. Sa présence en Afrique devient de plus en plus compromise, encore qu’elle se heurte à une jeunesse décomplexée, instruite et déterminée à sonner la révolution pour que l’Afrique puisse sortir du sous-développement et de la domination douce.

Aussi, la guerre d’influence sera-t-elle très épique entre la Russie et la France ? Et cela est d’autant plus vrai que la France compte beaucoup sur l’uranium du Niger et est décidée à préserver ce pré-carré qui lui est « vital ». En tout état de cause, la Russie est en train de ravir la vedette à la France victime de sa maladresse dans ses réactions face au coup d’Etat et à l’allure d’une conduite martiale, mal vues par la population. De plus, la présence de 1500 soldats français sur le sol nigérien suscite le doute quant à un appui en cas d’intervention militaire de la CEDEAO, si l’on sait que la France s’est dépêchée de rapatrier ses ressortissants qui pouvaient être des cibles si le pays de Marianne s’impliquait dans une intervention armée de la CEDEAO. Autant de facteurs qui fragilisent l’influence de la France qui risque, si elle ne fait preuve de plus de délicatesse, de voir sa politique africaine tomber à l’eau.

A la suite de la guerre d’influence entre la France et la Russie qui s’est étendue jusqu’au Niger, il convient d’analyser les risques d’une intervention militaire dans un contexte marqué par la montée du terrorisme qui mine de plus en plus l’Afrique de l’Ouest.

Des retombées d’une intervention militaire de la CEDEAO
Une intervention militaire pourrait entraîner une déstabilisation du Sahel vu le rôle de pivot que jouait Niamey avec les partenaires étrangers. Sous le magistère de Bazoum, le Niger a connu des avancées considérables dans la lutte contre le terrorisme. Le coup d’Etat fragilise le tissu socio-économique et risque de voir une montée de la criminalité et de la crise humanitaire, suite à la suspension de l’aide dont dépend fortement le Niger. Il s’y ajoute que les groupes terroristes sortiront gagnants de cette crise dans un contexte où un groupe comme le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) connaît une montée en puissance et un élargissement de son influence dans la zone des trois frontières.

Avec la rupture de l’ordre constitutionnel, la situation risque de se dégrader car l’urgence sera accordée à la crise économique et humanitaire surtout avec les sanctions de la communauté internationale. Aujourd’hui, on semble assister à une sorte de nouveau départ pendant que les groupes terroristes se frottent les mains et peaufinent de plus en plus leurs stratégies pour mettre en œuvre leur agenda. L’autre conséquence, et qui doit être prise en compte, est le risque d’éclatement d’une nouvelle rébellion touarègue qui pourrait s’opposer au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). En guise de rappel, le Niger à l’instar du Mali, a aussi connu une rébellion touarègue qu’il a su contenir. La crise actuelle peut entraîner une résurgence des velléités irrédentistes.

In fine, il convient de dire qu’en Afrique de l’Ouest, il y a un cocktail explosif qui, si les différents acteurs n’y prennent garde, risque de faire tomber plusieurs Etats sous l’escarcelle des groupes terroristes. Le terrorisme est un fléau très complexe et donc difficile à combattre. Pour ce faire, l’approche holistique s’impose. Les Etats ouest africains doivent s’efforcer de s’entendre en mettant de côté leurs désaccords. Car ce qui les lie est plus important que ce qui les divise. Une division des pays ouest africains ne sera que fatale pour la sous-région. Tous les Etats ont un ennemi commun et devraient travailler en synergie pour venir à bout de cet ennemi invisible, insaisissable, prompt à attaquer partout et à tout moment, mais qui peut être défait si les efforts sont mutualisés.

La posture ferme de la CEDEAO pour imposer un retour à l’ordre constitutionnel se comprend, car les coups d’Etat déconstruisent les ordres politiques dans une sous-région déjà durement éprouvée.  A cela s’ajoute le débat sur la dissolution ou non de la CEDEAO. Doit-on dissoudre la CEDEAO ? Ou, doit-on la maintenir en impulsant des réformes fortes ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre dans notre prochaine réflexion.

Aboubacry DIACK
Chercheur en Science Politique et diplômé en Défense Sécurité Paix    

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