TECHNOLOGIE

Quand les boissons énergisantes étaient chargées en radioactivité

Certaines substances et produits sont aujourd’hui reconnus comme dangereux… Mais on leur a parfois prêté, par le passé, des vertus curatives ou de beauté. Erreur tragique. Le temps de notre série « Les fausses bonnes idées en santé », nous revenons sur la radioactivité, mais aussi l’alcool, l’héroïne, le pétrole et la cigarette. Les dangers de la radioactivité sont bien connus. Ils étaient déjà envisagés il y a un siècle. Ce qui n’a pas empêché des sociétés de vendre des boissons radioactives. « Énergisantes » disaient-elles…

La vie moderne vous donne des fourmis dans les jambes ? Vous vous sentez un peu à l’étroit alors que vous traversez votre journée comme l’éclair ? Peut-être faites-vous partie des millions de personnes qui comptent sur les boissons énergisantes pour vous donner un peu plus de peps.

Bien qu’emblématiques de notre époque, ces produits de consommation ne sont pas une invention du nouveau millénaire. Cela fait au moins un siècle que l’on s’en sert pour lutter contre la fatigue. Aujourd’hui, leur « énergie » provient généralement d’un stimulant neurologique qui donne l’impression d’être plus énergique, et parfois simplement du sucre.

Mais il fut un temps où les boissons énergisantes contenaient réellement de l' »énergie ». L’ingrédient actif de ces boissons était le radium, un élément radioactif qui libère des rayonnements à chaque désintégration atomique. Radium qui fut un temps également un composé phare des produits cosmétiques

Bien que le lien entre la consommation d’un élément radioactif et la perception d’un regain d’énergie soit pour le moins ténu, cela n’a pas empêché les gens, au début des années 1900, de s’y adonner. En ignorant les risques liés à l’ingestion de radioactivité et ses conséquences à long terme sur la santé. L’un de ces produits était le RadiThor. Cette boisson énergisante consistait simplement en… du radium mis à dissoudre dans de l’eau distillée. Elle était vendue dans les années 1920 dans des bouteilles de 30 ml coûtant alors 1 dollar pièce (15 dollars environ aujourd’hui). Son fabricant prétendait que la boisson ne fournissait pas seulement de l’énergie, mais qu’elle guérissait également une foule de maux – dont l’impuissance. Les preuves d’un bénéfice sexuel pour l’homme manquaient, mais au moins un article scientifique affirmait que l’eau de radium pouvait augmenter « la passion sexuelle des tritons d’eau ». Pour de nombreux hommes, à cette époque pré-Viagra, la preuve du triton d’eau était suffisante. RadiThor a été un grand succès de vente.

Son client le plus célèbre fut Eben Byers, un industriel de Pittsburgh et golfeur amateur réputé. Byers a découvert le RadiThor en 1927, lorsqu’on le lui conseilla contre les douleurs liées à un bras cassé.

Bien que le produit ne contienne aucun narcotique, Byers en est devenu psychologiquement, sinon physiologiquement dépendant. Il a continué à consommer de grandes quantités de RadiThor même après la guérison de son bras. Il aurait avalé une ou deux bouteilles par jour pendant plus de trois ans et en aurait chanté les louanges à tous ses amis, dont certains ont également pris l’habitude de consommer du RadiThor.

Finalement, la dépendance de Byers au RadiThor va le tuer. Le radium ingéré à haute dose se fixa dans ses oset, au fil des ans, irradia le jeune homme qui développa de multiples cancers entre autres maladies osseuses et cérébrales. Il meurt, défiguré et dans des souffrances atroces, le 31 mars 1932.

Une tragédie qui aurait pu être évitée

Ce qui est terrible, c’est que les dangers de l’ingestion de radium étaient connus, avant même que Byers ne commence à prendre du RadiThor: la communauté médicale étudiait ses effets sur la santé depuis sa découverte par Marie et Pierre Curie en 1898.


Marie et Pierre Curie, découvreurs du radium. Ils avaient compris les dangers inhérents à son ingestion et n’avaient jamais conseillé un usage alimentaire.
AP file photo Le scientifique britannique Walter Lazarus-Barlow avait publié dès 1913 le fait que le radium ingéré pénétrait dans les os. En 1914, Ernst Zueblin, professeur de médecine à l’université du Maryland, a publié une revue de 700 rapports médicaux dont beaucoup montraient que les nécroses et ulcérations osseuses étaient un effet secondaire fréquent de l’ingestion de radium.

Malheureusement, ces signaux d’alarme sont passés inaperçus et les ventes de RadiThor sont restées soutenues tout au long des années 1920.

À sa mort, Byers a été enterré dans un cercueil doublé de plomb, pour bloquer les radiations émises par ses os. Trente-trois ans plus tard, en 1965, un scientifique du MIT, Robley Evans, a exhumé son squelette radioactif pour mesurer la quantité de radium toujours présente. Le radium ayant une demi-vie de 1 600 ans, les os de Byers en contenaient pratiquement la même quantité qu’au jour de sa mort.

Evans était un expert dans la mesure et la modélisation mathématique de l’absorption et libération de la radioactivité par le corps humain. Sur la base de la consommation de RadiThor déclarée par Eben Byers, son modèle prévoyait que le corps du défunt contiendrait environ 100 000 becquerels de radioactivité (le Becquerel est une unité de mesure de la radioactivité).

Or, il s’avéra qu’ils contenaient en réalité 225 000 becquerels, ce qui suggère que le modèle d’absorption des rayonnements d’Evans sous-estimait l’affinité du radium pour les os… ou que Byers avait sous-estimé sa consommation de RadiThor d’un facteur d’au moins deux. Il n’a pas été possible de déterminer laquelle de ces deux hypothèses expliquait l’écart.

Une fois qu’Evans eut terminé ses mesures de radium, il remit les os de Byers dans leur cercueil de plomb à Pittsburgh, où ils se trouvent encore aujourd’hui, toujours aussi radioactifs.

Une catastrophe qui est restée limitée

Bien que Byers soit une victime tragique du radium contenu dans RadiThor, la consommation de ces boissons énergisantes ne s’est jamais transformée en une crise majeure de santé publique.

Cela s’explique principalement par deux raisons. Premièrement, contrairement à Radithor, la plupart des autres boissons dites énergisantes sur le marché étaient des faux et ne contenaient pas de radium (ou tout autre type de radioactivité). Deuxièmement, RadiThor et les autres produits qui contenaient bien du radium étaient très chers, cet élément radioactif étant relativement rare et son extraction et purification coûteuses.

Seules des personnes aisées pouvaient se permettre d’en boire quotidiennement. Par conséquent, les affections liées au RadiThor furent largement réservées à ceux qui avaient les moyens de se l’offrir.

En fin de compte, dans l’intérêt de la protection de la santé publique, le gouvernement fédéral a fermé les Bailey Radium Laboratories – la société qui fabriquait le RadiThor – et les boissons énergisantes contenant du radium ont disparu du marché de la consommation en 1932.


Les boissons littéralement radioactives ont disparus du marché.
Image via www.shutterstock.com.


Aujourd’hui, le marché des boissons énergisantes est occupé par des boissons qui s’appuient sur la caféine, un stimulant, pour revigorer leurs clients et leur fournir l' »énergie » accrue qu’ils recherchent.

La caféine, ingrédient courant du café, du thé, du chocolat et du cola, n’est peut-être pas aussi exotique que le radium, mais c’est un stimulant qui donne de l’énergie aux consommateurs et est moins dangereux pour la santé.

Les clients d’aujourd’hui semblent satisfaits de ces alternatives moins irradiantes… Il n’est toutefois pas certain que les tritons d’eau aient le même avis.

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