TECHNOLOGIE
Ces espèces détruisent systématiquement une grande partie de leur ADN
Certaines espèces animales détruisent systématiquement une partie de leur ADN dans leurs cellules somatiques. Pourquoi ? Comment ? Cette élimination programmée du génome, découverte il y a 150 ans reste mystérieuse faute de moyen d’études adapté. Un article à paraitre dans la revue Current Biology décrit un groupe d’espèces de nématodes, manipulables génétiquement, pour lesquelles près d’un tiers du génome est éliminé, offrant enfin un modèle d’étude de ce processus fascinant. Alors que dans la majorité des espèces, des mécanismes sophistiqués de protection et de maintenance de l’ADN existent, certaines espèces excisent et éliminent systématiquement des portions entières de leur ADN dans certaines de leurs cellules. Les cellules transmises à la génération suivante, appelée cellules germinales (spermatozoïdes et ovules), gardent un génome intact. Les autres cellules, dites somatiques, subissent cette élimination programmée du génome (appelée PDE en anglais pour Programmed-DNA Elimination).
Ce phénomène d’élimination programmée a été décrit la première fois il y a plus de 150 ans, et a depuis été retrouvé dans une centaine d’espèces animales, appartenant à des embranchements très différents (notamment des vertébrés comme la lamproie). C’est donc un processus qui est apparu plusieurs fois au cours de l’évolution. Pourtant, il reste à ce jourmystérieux car les espèces le subissant ne sont pas modifiables génétiquement, ne permettant pas d’expérimentation en laboratoire. Ainsi, la communauté scientifique ignore encore comment l’ADN ciblé est reconnu, coupé, ôté des chromosomes puis détruit physiquement, des interrogations subsistent quant au rôle d’un tel mécanisme et pourquoi certaines espèces le subissent et pas d’autres.
Ce phénomène d’élimination programmée du génome a récemment été retrouvé dans toutes les espèces de nématodes du genre Mesorhabditis (appartement à la même famille que l’espèce modèle Caenorhabditis elegans). Les scientifiques, dans cet article publié dans la revue Current Biology, ont alors profité des nombreux avantages expérimentaux offrant ce modèle pour décrire les mécanismes d’élimination du génome.
Par une combinaison d’approches cytologiques et génomiques, ils ont montré que l’élimination s’opère par une première phase de fragmentation des chromosomes et de l’exclusion de certains fragments pendant la division cellulaire dans les cellules précurseurs somatiques dès le début du développement embryonnaire, au stade où l’embryon n’a encore que 5 cellules. Les fragments exclus, puis détruits, contiennent principalement des séquences répétées non codantes, mais également une petite centaine de gènes codants pour des protéines. Au total, c’est environ 30% du génome qui est éliminé des cellules somatiques de ces espèces.
De manière inattendue, les scientifiques ont montré que deux espèces proches de Mesorhabditis n’éliminent pas les mêmes séquences répétées et n’éliminent pas les mêmes gènes. Les gènes éliminés dans ces espèces sont en général très peu conservés au cours de l’évolution, suggérant qu’ils n’ont pas de rôle essentiel pour le bon fonctionnement des cellules et pour le développement embryonnaire. Ces résultats nous amènent à proposer que l’élimination programmée du génome a pour fonction principale d’éliminer des éléments répétés et que lorsque des gènes sont éliminés, seuls les gènes invisibles à la sélection, car inutiles dans le soma, peuvent être éliminés.
Un embryon en cours d’élimination de l’ADN est représenté en haut de l’image, l’ADN est en blanc. Dans certaines cellules (agrandies à droite), l’ADN qui va être éliminé (en rouge) est expulsé des noyaux (pointillés blancs) pendant la division cellulaire. La cellule germinale (en jaune) ne subit pas de fragmentation de son ADN. L’embryon donnera naissance à un ver dont les cellules germinales (en jaune) ont des chromosomes intactes (contenant encore l’ADN rouge) alors que les cellules somatiques (en beige) ont des chromosomes réduits (ayant perdu l’ADN rouge).
© Marie DELATTRE