Afin de saisir l’ampleur du problème, nous avons entrepris une visite au Marché Poisson de Pikine. Sur place, une ambiance animée règne, malgré le désarroi qui se lit sur les visages. Les vendeurs, assis devant leurs étals, agitent des morceaux de tissu pour éloigner les mouches tandis que d’autres marchandent avec des clients en quête de poissons frais.
Parmi eux, mère Aminata Boye se fraye un chemin au milieu de la foule avec son seau à la main pour être la première à accéder à une vendeuse exposant du poisson fraîchement pêché. D’un souffle profond, elle exprime sa frustration : « Je me précipite pour acheter ces dorades fraîches. De ce que j’ai vu, il y a plus de poissons congelés, ce qui n’est pas idéal pour préparer le célèbre « Cebbu dieun » (riz au poisson). Maintenant, c’est un vrai problème de trouver de bons poissons. Je me rabats souvent sur la viande ou les poulets pour compenser ce manque. Je suis venue spécialement au marché pour pouvoir préparer un bon riz au poisson et même trouver des rougets pour faire du « firir » (poisson frit). Ce que je ne pense pas trouver aujourd’hui. »
Au cœur du Marché Poisson de Pikine, l’atmosphère est électrique, et teintée d’inquiétude. Autrefois abondant et accessible, le poisson est devenu une denrée rare sur les étals au Sénégal. Ce phénomène alarmant est le résultat d’une double menace : la surexploitation des ressources halieutiques et les effets du changement climatique. Les conséquences de cette pénurie touchent de plein fouet les populations, les pêcheurs, et les commerçants.
Le poisson frais, autrefois un aliment de base abordable, est devenu un produit de luxe aux yeux des ménages sénégalais, laissant les citoyens impuissants face à cette disparition. Ousseynou, un vendeur au marché, explique les défis auxquels sont confrontés les pêcheurs et les commerçants. Il porte des bottes en caoutchouc pour naviguer habilement à travers les flaques d’eau, tandis qu’il discute de son commerce difficile ces derniers temps. Il note que les prix du poisson ont explosé, passant d’une vente au tas à une vente au kilo.
« Il y’a pas de poisson… », souffle notre interlocuteur. Rencontré au cœur du marché où il tient son étale. Portant des bottes de pluies vers pour pouvoir se déplacer aisément dans les flaques d’eau il contourne la table où il expose ses produits. « Jadis le poisson qui se vendait par tas se vend maintenant par kilo. Les poissons se vendent par kilo, Kilo 3200 Fcfa, 3500 ou 4000 alors que le kilo c’était entre 2000 et 2500. Les dorades se vendaient par tas, 2000 ou 3500 ou la caisse de dorades à 25.000. C’est temps-ci la caisse de 20 kilos coûte 50.000 Fcfa », explique Ousseynou.
Ce dernier blâme en partie les bateaux étrangers qui pêchent dans les eaux sénégalaises, privant ainsi les pêcheurs locaux de leur gagne-pain. Il décrit les conditions difficiles de la pêche en mer, où les pêcheurs passent parfois jusqu’à trois semaines à bord pour ramener des poissons. Malheureusement, la vente de leur précieuse cargaison devient une épreuve supplémentaire, les acheteurs se faisant rares. La rareté du poisson est aggravée par des facteurs naturels, explique Ousseynou. Les variations saisonnières de la température de la mer entraînent la migration de certaines espèces de poissons vers des zones plus fraîches, laissant moins de choix aux pêcheurs locaux.
Mais la présence croissante des navires étrangers dans les eaux sénégalaises et la pêche illégale contribuent largement à la situation actuelle. Mme Seyni Ngom, femme transformatrice de poissons, souligne ces menaces qui pèsent sur leur gagne-pain : « La forte présence des navires étrangers dans les eaux sénégalaises, le changement climatique, la pêche aux juvéniles et la pêche illégale que nous observons dans nos océans menacent notre gagne-pain. Si cela continue avec la présence des usines de farine de poisson, la surexploitation et les mauvaises pratiques de pêche, nous, les femmes transformatrices, qui dépendons de ces pêcheurs et mareyeurs, ne pourrons plus travailler. »
La rareté du poisson a également des conséquences économiques majeures sur les mareyeurs, les vendeurs et les transformateurs de poissons. Certains jeunes, autrefois pêcheurs ou vendeurs de poissons, sont contraints de fermer boutique et se tournent vers l’émigration clandestine à la recherche d’une vie meilleure, une option risquée. Samba Ndiaye, un vendeur de poissons, appelle les autorités à soutenir les jeunes actifs dans le secteur de la pêche. Il estime que des mesures appropriées pourraient empêcher la fuite de jeunes talents vers des horizons incertains.
En fin de compte, la rareté du poisson au Sénégal est un problème aux répercussions économiques, sociales et environnementales. Alors que la population s’inquiète de la disparition de cet aliment de base, il devient impératif de trouver des solutions durables pour préserver les ressources halieutiques tout en soutenant les communautés qui en dépendent. En attendant, la recherche du poisson frais et abordable continue dans les marchés. Les oméga-3, présents en abondance dans le poisson, sont indispensables pour la santé humaine. Ils ont des effets bénéfiques sur la tension artérielle, l’immunité, et la santé cardiovasculaire. Ainsi, la rareté du poisson au Sénégal soulève des préoccupations non seulement alimentaires, mais aussi sanitaires.
Selon les autorités sénégalaises, 20 % de la population dépend directement ou indirectement de la pêche pour sa subsistance. La pénurie de poisson représente un sérieux problème pour de nombreuses familles sénégalaises qui voient leur sécurité alimentaire compromise.