Traditionnellement des villages de pêcheurs, Ngor, Bargny, Mbao, Rufisque sont aujourd’hui soumis à l’action d’une mer qui avance et nourrit moins, et aux vents d’une modernisation qui se passe des limites géographiques et culturelles. Entre un quotidien qui tangue et la psychose des lendemains incertains, les habitants des zones côtières s’adaptent et luttent. Les frustrations tues ou qui finissent par déborder dans les rues comme ce fut le cas à Ngor, restent palpables. Pour certains, il faut se résoudre à tourner le dos à ces terres, pour d’autres il faut les défendre à tout prix.
Emigration des populations côtières : La pêche artisanale perd pied
On ne se bouscule pas au quai de pêche de Rufisque. Le sol mouillé et glissant est plus dû à ce qui tombe du ciel qu’à ce qui sort de la mer. Sur place, des acteurs dressent un tableau sombre de la pêche artisanale et un avenir qui commence déjà à se tracer, pour certains loin des berges rufisquoises.
A quelques mètres du quai, un porteur. Il commence sa journée à 11 heures parce que, dit-il, «il y a peu de poissons», donc très peu d’activité. Une rareté qu’il explique par les vents forts qui soufflent ces derniers jours. Le jeune homme prend alors son temps. Ses rares enjambées sont consenties pour éviter çà et là des flaques d’eaux noirâtres. Sur la plage, quelques pirogues accostent avec des fortunes diverses. Deux caisses, trois, puis une dizaine pour la dernière que les porteurs évacuent rapidement. Du côté des pêcheurs, le constat est unanime : les prises sont moins bonnes.
Médoune Fall Ndoye ne désespère pas pour autant de la mer qu’il sillonne depuis 1978. «Elle finit par récompenser les efforts des pêcheurs. Seulement, nous n’avons pas les moyens de rivaliser avec les bateaux étrangers», affirme-t-il. Par moyens, il entend l’efficacité technique, mais surtout la possibilité qu’ont les acteurs industriels de passer entre les mailles des autorités qui régulent les activités en mer. «Nous avons souvent l’impression que les interdictions de pêche et le repos biologique ne s’appliquent qu’à nous, et c’est frustrant», se désole-t-il. Frustrantes sont aussi ses prises en mer. Qu’elles soient dérisoires ou consistantes, elles n’assurent plus grand-chose selon lui. Ce constat, Médoune l’illustre par ses dernières recettes : «En 5 mois fermes (il insiste sur le mot), je n’ai eu du poisson que deux fois, avec des recettes de 180 000 et 105 000 F Cfa. Pour quelqu’un qui doit payer l’essence chaque jour et qui compte plus de 15 pêcheurs qui l’accompagnent en mer, c’est insoutenable.» Pour tenir, ce pêcheur confie s’être essayé à l’aviculture, sans succès, et bénéficier occasionnellement de la solidarité de son entourage. «C’est la pêche que je connais et c’est d’elle que je veux vivre. On peut compter sur les proches, mais ce n’est pas digne de vivre d’aide.»
«… je pars : ce soir-même avec quelques-uns de mes enfants»
Après ce qu’il appelle les «5 mois fermes» de disette, la grande bleue se montrera plus généreuse à l’égard de Médoune. «1 600 000F de recettes il y a 2 jours. Depuis, mon téléphone n’arrête pas de sonner. Il y a des dettes à payer. L’essentiel de la somme ira chez le pompiste dès demain.»
En attendant, il n’exclut pas de tourner le dos à cette mer qui, disait-il, finirait par récompenser les efforts des pêcheurs : eux, pêcheurs artisanaux, n’ont plus les moyens de rivaliser. «Si je vois une pirogue sûre, je pars ce soir-même avec quelques-uns de mes enfants», lâche-t-il.
Des pêcheurs de sa tranche d’âge, le jeune Amadou Ndoye en a vu partir pour l’Europe, et «en pagaille», à l’en croire. «Certains ont vendu leur matériel de pêche pour payer le voyage, d’autres sont partis avec leur propre pirogue et équipage.
Tout cela parce qu’ils n’ont plus d’espoir.» Il subsiste cependant des filets de sécurité qui permettent de parer aux disettes des pêcheurs. Notre interlocuteur d’évoquer une organisation sociale qui prône l’entraide, mais surtout et pour son cas, la prévoyance de parents qui, outre la pêche, l’ont fait très tôt passer de l’école à l’apprentissage d’un autre métier. Une casquette d’électricien sur laquelle il compte plus aujourd’hui, même s’il garde encore un pied en mer. Amadou est d’ailleurs à la tête d’une association locale dénommée «Teungueth Pêche», qui se donne pour ambition de pacifier les rapports entre pêcheurs de la zone, de leur fournir appui en cas de besoin, mais aussi de veiller à la préservation de la ressource.
Selon lui, les eaux sénégalaises ont une configuration qui fait qu’elles ne devraient pas manquer de poisson. «Le repos biologique par exemple, peut permettre de redonner vie à la mer. C’est pourquoi nous ne cessons de sensibiliser pour son respect et sur les bonnes pratiques. Pour les bateaux étrangers par contre, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités.»
Les chiffres de la pêche
Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), en 2018, la pêche artisanale était pratiquée en moyenne par 70 mille 041 pêcheurs, avec une flotte de 11 mille 912 pirogues. En 2016, les chiffres faisaient état d’une moyenne de 71 mille 177 pêcheurs, avec une flotte de 11 mille 975 pirogues.
En termes de performances, les chiffres donnés par l’Ansd sur la pêche maritime font état, pour l’année 2018, d’une baisse globale de 5, 1% des quantités débarquées. De 504 mille 776 tonnes en 2017, elles sont passées à 479 mille 194 tonnes en 2018.
Le rapport chiffre les débarquements de la pêche artisanale à 360 632 tonnes, soit une baisse de 8, 9%.
Quant à la pêche industrielle, elle est passée de 108 mille 713 tonnes en 2017 à 118 mille 561 tonnes en 2018, soit une hausse de 9, 1%.
Plus récemment, le Crodt (Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaro-ye), lui, a estimé les débarquements totaux de la pêche artisanale maritime à 443 mille 724 tonnes en 2021 contre 480 mille 576 en 2020, soit une baisse de 7, 6%.