Le Sénégal a adopté lors du Conseil présidentiel du 22 avril 2021, la mise en œuvre d’un Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion des jeunes et des femmes. Depuis lors, le gouvernement s’évertue à accentuer les efforts pour adresser ces questions érigées en priorités par l’Etat du Sénégal. Les compagnies minières dans la région de Kédougou, ne sont pas en reste dans la promotion de l’emploi et de l’insertion des jeunes. Pour autant, des problèmes subsistent toujours quant à la satisfaction des demandes au niveau local, mais aussi l’absence de cadre cohérent pour prévenir les conflits, qui finissent souvent dans le sang. Les questions de l’emploi et de l’insertion se posent avec acuité entre des compagnies, pour certaines qui se braquent, et des populations décidées à trouver de l’emploi. L’arrêté mort-né pris par le Préfet de Saraya, modifiant et remplaçant l’arrêté n°033/PD/SRY du 16 août 2016 portant création de commissions chargées du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée au niveau des communes du département de Saraya, est venu mettre le feu aux poudres en occasionnant plusieurs décès, des blessés et des arrestations. «Le Quotidien» s’est intéressé à la question et vous plonge au cœur de cette actualité dans le bassin minier du Sénégal où tout ce qui brille n’est pas forcément de l’or.
Réalisé par Pape Moussa DIALLO (Envoyé spécial à Kédougou) – A Khossanto, la libération des jeunes, après le temps du deuil, semble dissiper les nuages. Après avoir traversé les bourrasques, les populations locales semblent reprendre le cours de leur vie. Mais, elles n’ont rien oublié de la journée du 11 septembre où leur manifestation a été réprimée dans le sang : deux morts, plusieurs blessés et 37 arrestations ont été le bilan des affrontements qui ont eu lieu à Khossanto entre les populations et les Force de l’ordre, à la suite de l’arrêté «mort-né» du Préfet de Saraya modifiant et remplaçant l’arrêté n°033/PD/SRY du 16 août 2016 portant création de commissions chargées du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée. Le Comité régional de développement (Crd) spécial présidé par le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, accompagné du ministre des Mines et de la géologie, Oumar Sarr, a permis d’apaiser la tension et de retirer l’arrêté préfectoral qui a mis le feu aux poudres. De même, les manifestants ont été libérés et les populations ont décidé de tourner la page et d’avancer. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur la question de l’emploi et de l’insertion des jeunes de la région de Kédougou au sein des compagnies minières qui y sont implantées. Considérant la sensibilité de la région au regard de sa position géographique et en prenant en compte la menace sécuritaire dans la sous-région, le retentissement d’une grenade lacrymogène ou d’une balle n’a pas le même sens à Kédougou qu’à Dakar.
Aussi, depuis plus d’une décennie, l’exploitation minière dans cette région est entachée de sang. La plupart du temps, les affrontements et/ou soulèvements, qui y sont notés, sont le fait de revendications «légitimes» des populations locales en quête d’emplois.
Bassin minier
Issue du découpage administratif de 2008, la région de Kédougou se situe au Sud-est du Sénégal et couvre une superficie de 16 800 km2. D’une population de 210 722 selon les projections de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (2023), elle enregistre un taux brut de scolarisation globale de 63.2% contre 52.9% au niveau national, et un taux d’analphabétisme de 42.4% contre 63.1% au niveau national. Composée de trois départements, à savoir Kédougou, Salémata et Saraya, elle a une incidence de pauvreté estimée à 61.9% contre 37.8% au niveau national, renseigne le rapport de l’Ansd. C’est le tableau sombre qui est dressé d’une zone qui dispose d’un sous-sol qui brille de richesses.
Le département de Saraya est ce qu’on pourrait qualifier de périmètre minier de la région. Si l’exploitation minière moderne au Sénégal remonte à la période 1940-1950 avec l’ouverture de deux grandes mines de phosphates à Taïba et à Lam-Lam dans la région de Thiès, il n’en demeure pas moins que la région de Kédougou est le bastion de l’exploitation industrielle de l’or au Sénégal. Depuis la production du premier lingot d’or de Sabodala en 2009, la région ne cesse de connaître un boom qui vient chambouler tout et créer une convoitise jusque-là jamais connue ni vue dans la région. Pour permettre aux jeunes de la zone, notamment du département, de trouver de l’emploi dans les compagnies minières, des initiatives ont été prises à travers la création de commissions de recrutement de main-d’œuvre non qualifiée au niveau local.
Au début, il n’y avait pas de cadre réglementaire. Cela se faisait au niveau communautaire jusqu’en 2016 : l’autorité (le Préfet de Saraya d’alors) a jugé nécessaire par arrêté n°033/PD/SRY du 16 août 2016, de créer des commissions chargées du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée.
Bien sûr, précise l’inspecteur du Travail de Kédougou, M. Mamadou Ba, «ces commissions n’ont aucune base juridique légale». Par contre, il admet que c’est une approche qui «marche» et permet aux entreprises de «trouver une main d’œuvre non qualifiée» pour certaines tâches, au profit des compagnies minières, sans difficulté. Dans la foulée, l’inspecteur du Travail fait une précision de taille : «J’ai trouvé que l’Inspection du travail s’occupait de recrutements et enregistrait des dépôts de dossiers de demande d’emploi. Même si le bureau de la main-d’œuvre est logé chez nous, on peut accepter de recevoir des Cv. Mais, on n’est pas habilités à recevoir des demandes d’emploi.» Revenant sur la commission de recrutement de la main-d’œuvre non qualifiée, il explique : «Il y a une préférence locale dont font montre les entreprises minières. Il faut le reconnaître.» Toutefois, précise-t-il : «Pour satisfaire la préférence locale, on ne peut pas se substituer à l’entreprise. La commission ne fait que proposer des profils sur la base d’une commande de l’entreprise. Il appartient à cette dernière d’opérer un choix et de recruter à partir des propositions faites par la commission.» Pour éviter toute confusion ou amalgame, M. Ba assure que le combat de l’Administration est que les jeunes «puissent trouver un emploi».
C’est justement pour permettre aux jeunes de trouver de l’emploi, notamment en ce qui concerne la main-d’œuvre non qualifiée, que l’arrêté de 2016 a été pris, mais aussi pour encadrer le recrutement. Ce cadre a été beaucoup utilisé par la plupart des compagnies minières. Ces commissions étaient jusque-là présidées par les chefs de village.
Et l’administration territoriale faisant office de coordinateurs. Cependant, il y a eu des informations qui ont fait état d’abus qui pourraient être à l’origine de problèmes et/ou de vives tensions au niveau communautaire.
Le recoupement de cette information serait à l’origine de la décision du Préfet de Saraya de prendre un nouvel arrêté en remplacement de celui de 2016 : «Il est créé, au niveau de chaque commune du département de Saraya, une commission chargée du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée. La commission siège au niveau de la Préfecture ou de la sous-préfecture concernée.»
Cela a été fait «sans concertation avec les acteurs concernés», affirme le président du Conseil communal de la jeunesse de Sabodala, Cheikhou Soumaré. Le souhait des jeunes est que «l’ancien arrêté continue». Il poursuit : «Le nouvel arrêté a été pris sans que nous ne soyons consultés de la modification du précédent. En plus, les motivations d’une telle modification sont inconnues.» Pour lui, la mise en place de la commission de recrutement de la main-d’œuvre non qualifiée est une «action sociale» qui permet de «montrer» les impacts des compagnies minières sur la vie des populations. Par ailleurs, convient le président du Conseil communal de la jeunesse de Sabodala, «l’emploi est un problème mondial». Il poursuit : «La société Endeavour est en train de faire de son mieux dans ce domaine.» Il estime que la compagnie minière susmentionnée aurait promis de faire son expression de besoin en termes de main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée. Cela, explique-t-il, pour «chercher d’abord au niveau local, et si on ne trouve pas, on cherche au niveau de la région, avant de faire venir des travailleurs d’ailleurs».
En outre, fera constater le sieur Soumaré, il y a beaucoup de «rumeurs qui circulent pour dire que la compagnie minière Endeavour ne recrute pas. La société devrait partager les statistiques de son personnel pour que vous puissiez voir les gens recrutés par l’entreprise», suggère-t-il. Par rapport à ces statistiques, Le Quotidien a cherché à entrer en contact avec les responsables du groupe, sans succès. D’abord, on a appelé à plusieurs reprises Aziz Sy, son Pdg, qui n’a pas répondu. Il est également resté passif à notre texto. En plus, un questionnaire avait été envoyé au Service social de l’entreprise, qui n’a ni accusé de réception ni répondu au questionnaire.
Aucune réponse n’a été reçue de cette entreprise, malgré notre insistance. Pour sa part, Ousseynou Danfakha, président du Conseil départemental de la jeunesse de Saraya, n’est pas du même avis que son camarade de Sabodala. Selon lui, même si les jeunes de la zone sont employés, ils sont très «minimes au sein des compagnies minières». «Au début, on nous disait qu’on n’avait pas de qualifications. Et, les compagnies allaient chercher de la main d’œuvre ailleurs. Cet argument ne peut plus tenir», s’indigne-t-il.