SOCIETE
Saint-Louis: des inondations sans précédent ravagent la ville, les populations crient leur désarroi
Les zones les plus durement touchées par les inondations à Saint-Louis sont celles situées le long du Fleuve Sénégal et de l’Océan Atlantique. Malheureusement, ces quartiers sont souvent construits sur des terrains inondables, les rendant particulièrement exposés. Parmi les quartiers les plus touchés, il y a la Langue de Barbarie, une étroite bande de terre entre le Fleuve Sénégal et l’Océan Atlantique, le faubourg de Sor sur la rive nord du fleuve, ainsi que les quartiers de Pikine Guinaw Rails et Darou, situés sur la rive sud.
À Pikine, l est 10H passées de 36 minutes quand une équipe de PressAfrik se pointe ce 15 septembre. Ici, la vie quotidienne est devenue un véritable défi. Des enfants, habillés de pantalons retroussés et de chaussures en plastique bravent les eaux troubles. À chaque pas, la boue s’agrippe à leurs jambes, et les algues vertes confirment que ces eaux sont là depuis un certain temps. Leur objectif : atteindre l’école coranique du quartier.
« On va à l’école coranique. Une fois avoir fini de traverser l’eau, on se lave les pieds afin d’éviter d’éventuelles infections », lance l’un d’eux avant de courir rejoindre ses amis. Après avoir traversé cette eau sale, ils se lavent les pieds pour éviter les éventuelles infections cutanées.
Les inondations à Saint-Louis du Sénégal sont un fléau qui tourmente la ville depuis plusieurs décennies. Bien que les premières inondations notables aient été enregistrées en 1993, elles se sont intensifiées ces dernières années, devenant plus fréquentes et plus dévastatrices. Les années 2017, 2018, 2021 et 2022 ont vu la ville subir les assauts répétés des eaux, causant des dégâts matériels et humains considérables.
Les impacts de ces inondations sur la population sont dramatiques. Les habitations, les infrastructures et les cultures sont endommagées, perturbant les activités économiques et sociales de la ville. De plus, les conséquences sur la santé publique sont alarmantes, car la stagnation des eaux favorise la propagation de maladies telles que le paludisme, la diarrhée et la typhoïde.
Cependant, l’inondation ne se limite pas à la gêne causée par les flaques d’eau. Les quartiers de Leona, Pikine, Diamaguene, Hlm, Diaminar, parmi les plus touchés, sont devenus impraticables. Les véhicules refusent de s’aventurer dans ces zones. Cette situation est accentuée par l’insalubrité et des nuisances pour les riverains. Les habitants sont de plus en plus désespérés, dénonçant l’inaction du gouvernement et de la municipalité face à cette crise récurrente.
On dirait que nos complaintes sont tombées dans l’oreille d’un sourd
« On a dénoncé les maux de la ville de Saint-Louis partout sur les réseaux sociaux, mais on dirait que c’est tombé dans l’oreille d’un sourd. Rien n’a changé. On aimerait que la mairie s’y attelle pour régler ce problème. Dans certains quartiers, il y a des autorités qui viennent en aide aux populations en fournissant des motopompes, mais la situation ne change pas », confie-t-il.
Certains jeunes locaux ont même pris l’initiative de créer des solutions temporaires, comme des ponts improvisés en utilisant des pneus et des pierres. Cependant, ces efforts restent insuffisants pour résoudre un problème qui s’aggrave d’année en année.
Gestion « des inondations de Mansour Faye »
Les critiques se dirigent également vers le maire actuel de Saint-Louis, Mansour Faye, accusé de privilégier certains quartiers, notamment Ndiolofene, Bango et Gandiol, en matière de système de drainage, laissant d’autres quartiers se débrouiller seuls. « Ce n’est pas normal, mais c’est le Sénégal dans lequel on se trouve. Nos dirigeants ne se préoccupent que de leurs intérêts et de leurs proches, ce qui est extrêmement désolant », assène le sieur Sall.
Ce dernier est appuyé par Awa Niang qui fustige la gestion « calamiteuse de Mansour Faye qui n’a rien fait pour sa ville ». « Mais c’est vous qui avez donné un second mandat à Mansour Faye, n’est-ce pas ? Alors assumez et ne me dites pas qu’un maire ne peut pas gérer les inondations. Votre maire a occupé beaucoup de ministères avec des budgets colossaux qui pourraient atténuer la souffrance des Saint-Louisiens, mais hélas tout finira un jour ou l’autre », argue-t-elle.
Des zones exposées
Cependant, la situation est complexe. Les habitants soulignent que l’emplacement de certaines zones, comme Pikine Guinaw Rail, constitue un facteur aggravant, étant donné qu’elles sont naturellement propices à l’accumulation d’eau en raison de leur topographie en cuvette. Selon certains résidents, la planification urbaine insuffisante et l’absence de projets d’aménagement appropriés ont contribué à cette crise.
Pour Mère Anna, la source du problème réside dans le fait que c’est une cuvette propice à l’accumulation d’eau. « Le problème de Pikine Guinaw Rails est que c’est une cuvette qui abritait l’eau du fleuve. Les populations ont habité n’importe comment et spontanément, et l’État a laissé faire sans politique d’aménagement viable. Les projets de quartier doivent précéder le quartier, et c’est le rôle de l’État d’y veiller », explique la dame d’une cinquantaine d’années qui habite dans la zone depuis plus de 25 ans.
Pour l’activiste Saint-louisien Allé Thiam alias Gas El Salvador, la pauvreté pousse certaines familles à vivre dans les zones inondables, malgré les risques. « Les résidents de zones inondables sont conscients des risques, mais la pauvreté et le manque de ressources les poussent souvent à construire dans ces zones dangereuses. La sensibilisation à ces risques est essentielle, tout comme le soutien de l’État pour fournir des logements plus sûrs à ces populations vulnérables. Nous attendons beaucoup de l’État pour résoudre ce problème persistant. Il doit mettre en œuvre un plan d’aménagement global, financer des systèmes de drainage, sensibiliser la population sur les risques, acquérir des terrains inondables pour les convertir en espaces verts, et aider les personnes à trouver un logement plus sûr », explique l’activiste.
Selon ce dernier, ces mesures, si elles sont mises en place, pourraient contribuer à réduire considérablement le risque d’inondations à Saint-Louis et à protéger ses habitants d’une tragédie récurrente.
« Ils ont volé nos milliards »
Dans le quartier de Ngalelle, la situation est similaire. Les rues sont envahies par les eaux de pluie, rendant impossible tout déplacement sans marcher dans l’eau. Les cuisines de nombreuses familles ont été inondées, les obligeant à acheter en réserve pour éviter de cuisiner dans des conditions insalubres.
« À Ngallele et à Boudiouck, avant-hier (13 septembre), plusieurs familles n’ont pas fait la cuisine car elles ne pouvaient pas se mettre quelque part pour cuisiner. Leurs cuisines étaient inondées. Dans mon quartier, il y a beaucoup d’eaux de pluie qui stagne là-bas. Mes petits vont à l’école coranique, et ces derniers temps, on achète beaucoup de pain de mie en réserve pour ne pas trop nous aventurer dans les eaux de pluie. C’est vraiment difficile, ma mère s’inquiète toujours concernant la santé de mes frères avec les eaux. On leur a acheté des bottes de pluie pour limiter les risques. Toutefois, la nuit, les moustiques remplissent la maison. Les inondations, c’est à l’État de les gérer, mais on dirait qu’il a démissionné. Ici, on a le fleuve et la mer, on devait avoir des systèmes d’évacuation d’eau partout, mais ils ne l’ont pas fait, ils ont volé nos milliards, nous laissant souffrir, et chaque année c’est pareil », déplore la jeune femme.
À cela elle ajoute qu’ « il est impératif que la ville de Saint-Louis, avec ses atouts géographiques tels que le fleuve et la mer, bénéficie de systèmes de drainage des eaux pluviales adéquats pour prévenir les inondations. Des canalisations souterraines, des bassins de rétention et des murs de protection pourraient être envisagés », dit-elle.
Les inondations à Saint-Louis sont un problème majeur qui nécessite une action immédiate et coordonnée des autorités locales et nationales pour soulager les souffrances de la population. Les habitants déplorent le manque d’intervention de l’État pour gérer cette crise persistante. Malgré la présence du fleuve et de la mer à proximité, l’absence de systèmes d’évacuation des eaux appropriés et d’infrastructures de protection les expose chaque année à la même souffrance.