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Transport, commerce, consommation, etc. : Éco du Magal

L’édition 2023 de la célébration, ce lundi 4 septembre, du départ en exil du très vénéré fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, est partie pour être l’une des plus époustouflantes, économiquement parlant. La capitale du mouridisme commence à enregistrer déjà de fortes affluences de fidèles venus de partout revisiter, dans la plus grande ferveur religieuse, l’œuvre gigantesque du saint homme qui, de son vivant, insistait beaucoup sur les actions de grâce. Du coup, le foyer religieux de Serigne Touba devient, le temps du Grand Magal, la capitale économique du Sénégal, voire de la sous-région.

Par Cheikh CAMARA – Chaque 18 Safar, c’est l’effervescence : tous les regards sont braqués sur Touba-la-pieuse. Tous se dirigent vers la seule destination de l’heure, la «Ville-Lumière», qui baigne déjà dans une intense ferveur religieuse comblant de foi quelque trois à quatre millions de pèlerins musulmans venus des quatre coins du Sénégal, de la région (Mali, Mauritanie, Gabon) et même d’encore plus loin (France, Espagne, Italie, Etats-Unis). Louanges dédiées au Sceau des Prophètes (Psl), lecture du Saint Coran et de khassaïdes (écrits de Borom Touba), recueillement devant les mausolées des vénérés saints de Touba, actes d’allégeance réaffirmés à la famille de Mame Ahmadou Bamba Mbacké, rythment l’actualité dans l’épicentre du mouridisme dans le monde entier.
L’un des plus grands événements religieux au Sénégal, le Grand Magal (terme wolof qui signifie «rendre hommage, célébrer») commémore le départ en exil du fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba, arrêté le 10 août 1895, à 14h, à Djéwal (actuelle région de Louga), par un détachement des autorités coloniales françaises, et exilé pour ses convictions religieuses, après un procès inéquitable tenu dans la salle de délibération du «Conseil Privé», sis à la Gouvernance de Saint-Louis, le 5 septembre.
A l’issue de ce jugement sans appel, le «Conseil Privé» décida «à l’unanimité, après avoir entendu les rapports de M. Merlin et Leclerc, et fait comparaître Ahmadou Bamba, qu’il y avait lieu de l’exiler au Gabon». Jusqu’à, disait-il, «ce que l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal (Sources : rapport du Conseil Privé, août 1895)». L’exil au Gabon durera sept longues années. Et C’est cette date du 18 Safar que Khadimou Rassoul a choisie comme jour d’actions de grâce et de fête. D’après feu Cheikh Abdoul Ahad Mbacké (3e khalife des Mourides), c’est en 1921, à Diourbel, que le Cheikh lança son célèbre appel : «Quant au Bienfait que Dieu m’a accordé, ma seule et souveraine Gratitude ne le couvre plus. Par conséquent, j’invite toute personne qui se réjouit de mon bonheur personnel, à s’unir à moi dans la reconnaissance éternelle à Dieu, chaque fois que l’anniversaire de ce jour la trouve sur terre.» Chacun, selon ses moyens (de la poule au chameau), est invité à célébrer ce jour du 18 Safar, chaque fois qu’il en a l’occasion. «Magal», un terme wolof, signifie «célébrer dans l’exaltation de la grandeur du Seigneur et l’élection du Prophète Mohammad (Psl)». C’est, autrement dit, «glorifier le Seigneur et Son Prophète (Psl)». Une fête qui a lieu le 18e jour du mois de Safar (2e mois du calendrier de l’Hégire).

Trois à quatre millions de fidèles convergent vers la ville sainte
Comme chaque pèlerinage, l’édition 2023 de ce grand rendez-vous de la confrérie mouride devra rassembler environ quelque trois à quatre millions de fidèles dans la ville sainte, située à 200 km à l’Est de Dakar. La cité religieuse du très vénéré fondateur du mouridisme reste l’attraction de la Ummah islamique. Toutes les destinations mènent à Touba. Où, à tous les coins de rue, dans toutes les maisons, un accueil toujours empreint de cordialité est réservé aux fidèles qui rivalisent de piété, de dévouement, de zèle. Dans ce sanctuaire de l’islam, les Talibés de Borom Touba ne ménagent aucun effort dans l’accueil des très nombreux fidèles, qui ont droit à d’excellentes conditions de séjour. Les actions de grâce figurent dans les priorités de l’évènement. Partout on se réjouit autour de grands repas offerts aux hôtes. Un moment de partage et de ferveur où la consommation est immense. Des milliers de tonnes de riz, d’eau minérale sont acheminées sur place. Quelque trois à quatre millions de paquets de gâteaux agrémentent le décor. Des milliers de bœufs, de moutons, de chameaux et de poulets sont immolés durant cette semaine de réjouissance. Dans les maisons bondées, dans presque toutes les familles ainsi qu’au sein des dahiras, des efforts immenses sont fournis dans l’accueil des hôtes de Dieu. Une quantité astronomique de boissons, de gâteaux et toutes sortes de mets sont gracieusement offertes aux musulmans durant le Magal. Au point que certains talibés reviennent même de la cité de Bamba chargés de produits alimentaires qu’ils offrent comme «barkèlu» aux gens qui ont eu un empêchement pour se rendre au Magal. Le Cheikh Saliou Mbacké ne disait-il pas que «le Magal, c’est le «berndèèl». La qualité et la quantité des aliments et collations, etc., doivent permettre à chacun de sentir que ce pèlerinage, c’est la meilleure fête qui puisse exister. Donner à manger est un acte fortement recommandé par l’islam». Sur ce plan, nombreux sont les fidèles mourides qui reconnaissent que «les talibés ont toujours fourni d’immenses efforts pour rendre la fête belle».

Le Magal, un jour de bonheur, de partage
La dimension économique de l’événement n’est donc pas à négliger durant le Grand Magal, à l’occasion duquel les rues de la capitale du mouridisme sont prises d’assaut par les commerçants venus de partout. Dans la ville sainte, tout, presque, se vend comme des petits pains. Un événement excessivement vital pour certaines petites entreprises qui, à l’occasion, font des chiffres d’affaires intéressants. Médoune Ndiaye, commerçant grossiste au marché Ocas, explique : «C’est le secteur du commerce qui certainement se taille la part du lion dans cet événement.» Comme sont également très «florissants» à l’occasion, «l’agriculture, l’élevage, l’aviculture, entre autres», remarque la dame Fatou Mbow, restauratrice. «Si le Grand Magal est rythmé par des actions de grâce, conformément aux recommandations du Cheikh-fondateur, c’est aussi une grande fête», ajoute-t-elle. Un moment de réjouissances à l’occasion duquel chaque famille accueille ses proches, des amis, et parfois même des inconnus. Adja Aminata Diop, au quartier Darou Minam II, elle, a presque fini de faire ses achats. «Ma famille a acheté un bœuf, un mouton, des poulets, pour ne manquer de rien. Le Magal, c’est un jour de bonheur, de partage. C’est onéreux, mais ça ne nous fait rien parce que nous le préparons pendant près d’un an. On a économisé et on le fait avec plaisir.» Dans la maison d’à côté, chez Moustapha Thiam, déjà il y a beaucoup de monde. «C’est une grâce divine. Quand tu viens chez moi, je te donne tout. On y croit. Ça vient du cœur», s’exclame le disciple de Serigne Bamba. Qui oserait perdre de vue les «berndéél» de la famille de feu Cheikh Béthio Thioune. Le cheptel des Thiantacounes est immense. Sont attendus des milliers de bœufs, de moutons, de chameaux, de poulets, etc.

Un évènement créateur d’emplois 
Dans ce sanctuaire de l’islam du Cheikh-fondateur du mouridisme, où le consommer local est au centre des discussions en cette période du Grand Magal, la dimension économique de l’évènement reste, pour ainsi dire, un volet d’une importance capitale. Et contrairement à certains esprits qui avancent que «pendant cet événement, le reste du pays est paralysé», ce père de famille, Sidy Ndiaye, lui, de reconnaître «le rôle important que le Magal joue dans l’économie du Sénégal». Pour nombre d’entreprises, en effet, «l’évènement est même vital», car le Magal peut représenter, soutiennent certains de leurs responsables, «jusqu’à 60% de nos chiffres d’affaires annuels». Du coté des entreprises de construction et des ouvriers du bâtiment, l’on remarque que «le Grand Magal de Touba est une vraie aubaine». Mor Cissé, un Talibé établi en Italie, prend plaisir à constater que «plusieurs semaines avant l’évènement, il est quasi impossible de trouver des ouvriers si on veut faire des travaux dans sa maison à Touba. Certains doivent même en amener d’autres villes du pays». Et de se réjouir du fait que «le Magal soit donc un évènement créateur d’emplois». Pape Ndir, gérant d’une alimentation générale à Touba 28, remarque que «c’est le secteur du commerce qui, sans aucun doute, se taille la part du lion par rapport aux retombées incommensurables du Grand Magal. En effet, pendant plusieurs semaines, Touba se transforme en une cité commerciale où presque tout se vend comme des petits pains dans un «marché immense» d’environ 4 millions de clients potentiels».

Une période de traite pour les éleveurs
Un tour en ville permet de se rendre compte que beaucoup d’industries du Sénégal connaissent leur meilleure période de vente pendant ce grand rendez-vous de la confrérie mouride. Les usines de fabrication de nattes, d’ustensiles de cuisine, de glace, de matelas, d’eau minérale, etc., ne parviennent pas en général à satisfaire la demande. Sans compter l’agriculture, l’élevage et l’aviculture qui sont également très florissants avec cet évènement annuel. La consommation de couscous sénégalais, donc du mil, est à son plus haut niveau. Les sociétés avicoles introduisent des bandes de poussins de chair spécialement pour ce Magal. Seulement l’offre est toujours de loin en-deçà des besoins, tellement la demande est forte. L’événement constitue donc une période de traite pour les éleveurs. Les meilleures têtes, «Nagu Magal», de leurs troupeaux sont réservées à la vente à Touba, pour la simple raison que les Talibés mourides ont l’habitude d’acheter de gros bœufs pour le Magal.
Que dire du secteur des télécoms qui est loin d’être en reste. D’autant que Touba, même en temps normal, reste la deuxième ville, après Dakar, en termes de nombre de lignes téléphoniques et d’appels entrants ou sortants pour l’ensemble des opérateurs. Durant le Grand Magal, Touba devient numéro 1 au Sénégal et certainement en Afrique pour le nombre d’appels qu’enregistre la ville sainte.
L’évènement constituant aussi un moment de rencontres pour beaucoup d’hommes d’affaires afin de nouer divers partenariats. «Des rencontres d’affaires qui, certainement, donnent naissance à de nouvelles entreprises», devine un Talibé mouride de la diaspora venu de sa lointaine Europe répondre à l’appel de Serigne Touba.
Par rapport aux perspectives pour le Magal, nombreux sont les fidèles qui pensent qu’«il y a nécessité d’approfondir la réflexion sur les voies et moyens pour mieux formaliser, dans l’avenir, les retombées économiques du Magal sur la ville sainte de Touba». Et de se poser un tas de questions : «Pourquoi ne pas développer des projets d’investissement avec des appels de fonds organisés lors du Magal ?»  «Pourquoi, à l’image de ce qui se fait à la Mecque et à Médine, des privés ne pourraient-ils pas bâtir des buildings et/ou hôtels pour les louer à certains hôtes durant le Grand Magal ?» «Pourquoi, à l’image de ce que font aujourd’hui certaines sociétés, surtout les compagnies de télécoms, l’image de Touba ne devrait pas-elle être plus et mieux utilisée par des initiatives privées pour promouvoir le développement de produits de merchandising sur le Grand Magal et le mouridisme (porte-clés, stylos, représentation de la Mosquée, de «petites boîtes à images de Touba», etc.) comme cadeaux-souvenir pour les visiteurs ?»
En tout état de cause, le constat reste unanime sur le fait que Touba-la-pieuse demeure en cette période du Grand Magal, la capitale économique du Sénégal, voire de la sous-région.
Correspondant

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