POLITIQUE
Editorial : La Côte d’Ivoire galope
La Côte d’Ivoire domine l’économie de la sous-région. Elle rafle près de 45 % de son PIB. Elle devance de plusieurs longueurs ses suivants immédiats dont le Sénégal. Lequel peine d’ailleurs à suivre le rythme soutenu qu’impose Abidjan. Autant dire que l’économie ivoirienne demeure la plus robuste de l’espace ouest africain.
En revanche, rien n’explique tant le succès et les résultats de la Côte d’Ivoire que sa volonté de jouer les premiers rôles en maîtrisant parfaitement les paramètres de développement. Le pays a une superficie correcte et une population vigoureuse, entreprenante et surtout résiliente.
Les Ivoiriens, faut-il le rappeler, après avoir touché le fond et atteint la lie de l’humanité, remontent à la surface et effacent les stigmates d’une décennie de crise sanglante et meurtrière. C’est dans l’épreuve qu’ils se sont forgés un mental de dépassement en se découvrant les uns les autres.
Puis ils ont appris à se connaître en explorant des voies inédites de la sagesse, de la dignité, de l’empathie du respect de l’autre et de la solidarité. Au-dessus d’eux tous surnagent un patrimoine commun : la Côte d’Ivoire. L’attachement à ces valeurs les a soudés. Indiscutablement.
Echappant ainsi au chaos, ils ont juré de pacifier le pays profond en se mobilisant autour de vertus cardinales centrées ou focalisées sur le rayonnement stratégique de leur cher pays. Ceux qui se nourrissaient du chaos en ont eu pour leur frais. Ce chapitre clos entrouvre une fierté retrouvée qui soude les Ivoiriens entre eux. Le pays a fait le choix de la croissance.
Dans ses premiers cycles d’essor, l’exubérance née de l’expansion euphorisante du café et du cacao empêchait Abidjan, pour ne pas dire Yamoussokro, d’anticiper sur les « coups d’après ». Cette fois-ci les produits du cru subissent sur place un processus de transformation. Tirant des leçons du passé, le pays se fraye un chemin singulier en traçant son propre itinéraire.
Ils s’aperçoivent que la politique ne les mène plus en bateau tant ils ont été trompés au moyen de mensonges qui ont été destructeurs à bien des égards. Grâce à leur vigilance, ces tours d’adresse ne prospèrent plus. Ce que comprenant, la classe politique se la joue modeste désormais. En vérité elle manquait de grandeur.
Laurent Gbagbo et Blé Goudé, revenus de leur purgatoire à la CPI, affichent plus de réalisme que d’ordinaire en foulant la terre natale après bien des péripéties judiciaires. Guillaume Soro, habité par la nostalgie, assouplit son discours et s’accommoderait déjà d’un retour qui mettrait fin à un fâcheux exil ponctué d’errances.
Avec l’âge, la sagesse siffle plusieurs fois. Henri Konan Bédié et Charles Konan Banny ne sont plus de ce monde. Un seul être vous manque, tout se dépeuple… Esseulé, l’actuel président Alassane Ouattara, 78 ans, travaille à différents scénarios pour laisser pour la postérité une Côte d’Ivoire apaisée, conquérante et performante à la fois. Il est pour beaucoup dans ce joli succès ivoirien.
Sa vision, sa gouvernance, son tempérament et sa parfaite maîtrise des enjeux mondiaux le prédisposent à grappiller des gains de positions au bénéfice d’une Côte d’Ivoire en mutation profonde. Elle progresse dans une relative stabilité. En d’autres termes, le pays bouillonne d’idées, de projets, de chantiers et de réalisations.
L’agriculture rebondit. Le soja, la canne à sucre, l’huile de palme, le café, le cacao et la noix de cajou inondent les grandes surface avec des produits nettement mieux fabriqués, souvent d’une stupéfiante qualité. Ces produits répondent aux standards et apparaissent comme la promesse d’une Côte d’Ivoire en expansion.
On avait cru les Ivoiriens insensibles et indifférents au sort de leur nation au plus fort de la crise sociopolitique qui l’a secouée, une décennie durant. Or cet acquis, combiné à l’habileté de Ouattara, confère au pays une crédibilité certaine saluée par la communauté des investisseurs étrangers.
Conscients de leur leadership sous régional, les Ivoiriens élèvent le niveau du débat à l’échelle régionale où ils retrouvent le Ghana et le Nigeria. L’axe Accra-Abuja se fortifie. Pas besoin d’un dessin pour comprendre le dessein envisagé au sein de la Cedeao, regroupant seize pays membres. Certes le Nigéria et le Ghana s’affrontent sur plusieurs théâtres.
Leur forte rivalité écarte néanmoins toute pusillanimité. Mieux, ils se concertent sur les affaires d’importance stratégique. Plus à l’offensive, le Nigeria, 180 millions d’habitants, tient très peu en estime la France soupçonnée d’être toujours dans la manigance sans oser afficher ses intentions premières dans ce pré-carré qui ne l’est plus d’ailleurs que de nom.
Les banques nigérianes essaiment et son très présentes dans les pays francophones, jusque-là chasse-gardée des entreprises hexagonales. On l’a vu avec le changement de tour de table de deux filiales bancaires appartenant respectivement à la Société Générale et à BNP, fleurons de la finance française.
Sur ce registre, des développements inattendus sont à prévoir dans les trimestres à venir. Beaucoup de prévisionnistes tablent sur une dynamique de croissance dans cette zone où le pouvoir d’achat se consolide. Dans ce triangle, se construit une économie adossée à une interpénétration d’acteurs de premier plan.
Les produits de base se transforment sur place. Cela crée un marché avec des circuits qui se rationalisent au gré des évolutions et de la précision des demandes de plus en plus solvables. Nigérians, Ghanéens et Ivoiriens tissent des liens d’affaires. Une telle empathie reflète leur envie de plus de proximité. Désormais, le Ghana et le Nigeria constituent la nouvelle frontière de prospérité qui galvanise les opérateurs ivoiriens.
L’objectif est de prendre le contre-pied des économies extraverties en privilégiant la consommation de ce qui se produit localement. Tout n’est pas rose cependant : des industries naissantes et très peu performantes, des approximations ou des tâtonnements dans l’élaboration des manufactures, très peu d’études de marché, donc un déficit de connaissance des goûts, des préférences et des choix du consommateur final à Accra, Abuja ou Abidjan.
Néanmoins, l’esprit d’entraide s’installe. Il faut s’en réjouir. A plusieurs, ils produisent, transforment et consomment, créant ainsi une chaîne de valeur qui rend leur tissu industriel vigoureux et actif. En se frottant aux anglo-saxons, les Ivoiriens gagnent en efficacité et réajustent leur perception de la concurrence.
Ils apprennent de leurs erreurs. Par ce biais, ils construisent les victoires de demain dans le respect des différences. Résultat : il n’est pas rare d’entendre des Ivoiriens fortunés prendre des parts significatives dans des entreprises florissantes ou dans des start up prometteuses. La langue anglaise ou l’éloignement ne constituent plus un obstacle insurmontable. Au contraire.
Ils se donnent les moyens d’être compétitifs. Au moment où nos voisins s’obstinent à bâtir des économies fortes, les Sénégalais se recroquevillent sur eux-mêmes. Prendre conscience de cet écart c’est déjà une avancée. Mais le tableau est très peu reluisant malgré des infrastructures de pointe conçues dans une perspective de maillage du pays à des fins de croissance inclusive.
Après tout, richesse et prospérité riment avec effort. Gageons que le Sénégal n’est pas lâché, loin derrière !