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Entretien avec Idrissa Diabira, Dg Adepme : «Il faut un «ndeup» collectif sur l’état du pays»

Voix autorisée pour parler d’emplois, Idrissa Diabira, le Directeur général de l’Agence de développement des petites et moyennes entreprises (Adepme), a diagnostiqué le problème de l’émigration clandestine. Il dénonce une «certaine hypocrisie de l’Europe» qui ferme ses frontières. Concernant le Sénégal, né et ayant grandi en France, M. Diabira prône un «ndeup collectif» pour trouver une solution au phénomène. Néanmoins, il reconnaît que la responsabilité de l’Etat est engagée car il doit fournir des alternatives. Soutien de Macky depuis 2012, Diabira croit qu’il est important que la perception des choses rejoigne la réalité des efforts fournis par les pouvoirs publics. 

Vous faites une visite au Caire dans le cadre d’une foire avec 80 entreprises sénégalaises. De quoi s’agit-il ?
Dans le cadre du programme E-pme pour digitaliser les Pme, avec la Banque mondiale et la Bad, nous allons accompagner 80 entreprises pour participer au salon de l’Iatf au Caire. C’est la poursuite de l’interna­tionali­sation des entreprises sénégalaises. On renforce en amont leur compétitivité pour leur ouvrir de nouvelles oppor­tunités à l’in­terna­tional. Elles sont capables de conquérir l’Afrique et le monde, nous les coachons pour être ces futurs champions.

Qu’attendez-vous du Salon des banques de l’Uemoa ? 
Au mois de juillet dernier, nous avons tenu la 3ème édition du Forum de la  Pme sénégalaise dont le thème était le finan­cement des Pme. Com­ment dis­poser d’un finance­ment massif et sécurisé ? C’est l’une des prin­cipales préoccu­pations des Pme. Lors de ce forum, le Premier ministre a lancé le Guichet unique d’accès au financement (Guf), www.sene­gal­pme.sn. C’est une plateforme d’inter­médiation des acteurs qui participent à l’éligibilité des Pme au financement. Le défi principal est que les acteurs se com­prennent. Nous jouons, nous, le rôle-clé de tiers de con­fiance. Le Salon des banques vient prolonger les actions du Guichet unique de finance­ment. On va y faire les plaidoyers de notre plateforme qui est un outil unique en Afrique. Il vise à ce que toutes les catégories d’ac­teurs, à savoir les institu­tions finan­cières, les structures d’appui et d’encadrement, et les Pme, puissent converger en un seul point. Et le Guichet unique facilitera l’accès au finance­ment. Au Forum des Pme, nous avons validé l’objectif de passer de moins de 10% du porte­feuille des banques finançant les Pme aujourd’hui, à 30% en 2028. Soit un passage de 500 milliards de F Cfa à plus de 3000 milliards en 2028. Le salon est une façon de présenter l’initiative du Sénégal et de montrer son potentiel dans les prochaines années.

Vous ne cessez de demander aux entreprises de se digitaliser. N’est-il pas démesuré de de­mander aux Pme de se formaliser en même temps de se digitaliser ? 
Pendant le Covid, les entre­prises les plus résilientes ont été celles qui se sont digitalisées. Là, on a vu l’absolue nécessité. Ce n’est pas un luxe. Se digitaliser est une exigence. Dans le programme de digitalisation, nous avons un objectif d’accom­pagner 5000 Pme en 4 ans. Nous sommes à 4000 déjà. Ça veut dire qu’on peut faire 4 à 5 fois ce qui était prévu. On doit tout changer à l’approche de formalisation. On a tendance à croire qu’il faut d’abord se formaliser pour ensuite se digitaliser. Le changement n’est pas la formalisation, mais de faire grandir l’entreprise. Cha­que année, nous accompagnons plus de 5000 entreprises. Un exemple : ceux qui vendent de l’hibiscus ont besoin d’être ac­compa­gnés pour mieux vendre. Ils ont besoin d’un soutien pour tenir leur comptabilité, des ap­plications et des logiciels exis­tent à cet effet. Ce sera la même chose pour le marketing. Vont-ils chercher des marchés ailleurs en utilisant les réseaux sociaux ou vont-ils se cantonner dans l’environnement où ils se trou­vent ? En moyenne, dans les entreprises qu’on accompagne, ce sont 150% d’amélioration du chiffre d’affaires et 350% de bénéfice net. Ce sont 3 emplois décents de plus en moyenne quand l’entreprise se formalise. Et celles qu’on accompagne à l’in­ternational, ce sont 7 emplois créés en moyenne. Le défi, c’est faire ce que l’on fait fois 10 ou 100.

12 ans avec Macky Sall. Etes-vous satisfait de ce compagnonnage à la veille de la Présidentielle ?
J’aime à rappeler que parmi les raisons de la victoire du Président, l’esprit de Yokkuté, qui est la capacité à com­prendre les besoins de la population et à y répondre, a été un élément fondamental. La vision, c’est là où on souhaite amener le Peuple à l’issue d’un horizon donné. Cette vision a contribué à faire du Sénégal, malgré les crises interna­tionales, l’une des nations les plus dynamiques du monde. Tout n’est pas parfait, loin de là. Je suis convaincu que c’est au travers de la manière qu’on va poursuivre la mise en œuvre de cette vision, à partir de 2024, et des ajustements indis­pensables à faire, des réponses à apporter en matière écono­mique, sociale, que globalement l’élection 2024 se jouera. Amadou Ba a le profil, les clés, la coalition et un futur projet pour l’emporter et pour­suivre le chemin du dévelop­pement.

Les briques sont posées pour permettre à nos entreprises d’être des futurs champions. Certes on doit passer à l’échelle, mais on a eu le mérite de poser les fondations. Certains diront que rien n’a été fait. Notre rôle sera d’expliquer ce qui a été fait, pourquoi cela a été fait et comment cela nous conduira à l’objectif d’un secteur privé fort et productif.

Malgré ce que vous avez posé comme jalons pour les entreprises, les 500 mille emplois et 65 mille emplois de Xëyu ndaw ñi, l’emploi des jeunes reste un problème majeur. Dans un pays de 18 millions d’habitants, composé de 75% de jeunes de moins de 35 ans, est-ce que votre politique d’emploi n’est pas obsolète ? 
Non, je ne crois pas. C’est drôle, lorsqu’en 2012 nous avons annoncé la volonté de créer 500 mille emplois, les gens nous disaient que c’est trop. L’enjeu, c’est d’abord comment on met en avant la machine de la création d’em­plois. C’est vrai qu’on veut toujours s’arrêter au moment présent. Mais avant 2012, il n’y avait même pas d’objectif de création d’emplois. On ne parlait pas de trajectoire de croissance pour générer de la richesse qui est synonyme de création d’emplois. Là où on ne s’est absolument pas trompé, c’est que parvenir au dévelop­pement, c’est construire une vision sur un temps donné. Où est-ce qu’on en est ? Il y a des choses qui ont été faites. Il y a des résultats et il y a des choses à améliorer. Ça montre qu’on doit faire davantage. Qu’est-ce qui permet de créer l’emploi ? C’est le secteur privé, car c’est lui qui crée de la richesse. Le programme Xëyu ndaw ñi participe du recueil des demandes de la jeunesse, il a permis dans 46 département, de disposer, avec Sénégal Services, de portes d’entrée vers certains services de l’Etat en matière de financement (Der/fj), de formation (3Fpt) ou d’infor­mation (Anpej). Les résultats sont positifs, mais pas encore à la hauteur des demandes.

Des jeunes continuent de risquer leur vie en prenant des pirogues pour l’Espagne, d’autres pour le Nicaragua. Malgré la beauté des chiffres que vous exposez, on semble être loin de la réalité. Qu’est-ce qui explique, pour vous, la recru­descence de l’émigration clandestine ?
On a tendance à minorer l’impact des crises qui nous frappent. 90% de nos entre­prises ont connu des difficultés à cause du Covid. Certaines ont fermé. Les impacts de cette crise sont encore présents, même si nous sommes une économie majori­tairement informelle. C’est la même chose avec les crises ukrai­nienne ou au Moyen-Orient, sur la vie chère. Ap­précier les causes profondes de la situation est important pour ne pas tomber dans le populisme et jeter le bébé avec l’eau du bain, comme certains le font. Les causes de l’émigration sont mul­tiples, mais les principales sont d’une part, la différence de dé­veloppement et les inégalités qui s’accroissent entre nos pays du Sud et ceux du Nord, et d’autre part, le renforcement des politi­ques restrictives en matière de visa. Il y a une certaine hypo­crisie des Oc­ciden­taux à durcir drastique­ment les conditions d’immi­gration alors même que leurs économies embauchent des travailleurs en situation irré­gulière. Il faut rappeler qu’il existe des droits fondamentaux et des traités internationaux qui consacrent le droit des personnes à circuler et à quitter le pays où elles se trouvent. Certes les migrations doivent, autant que possible, être régulières, mais encore faudrait-il ne pas transformer le régulier en une exception, ce qui est de plus en plus le cas.

D’après vos explications, l’Occident est le principal responsable de la situation. Est-ce à dire que l’Etat n’a pas de responsabilités dans ce phénomène ?
Oui, l’Occident en est le principal responsable car c’est chez lui que se construit une phobie irrationnelle de l’autre qui le conduit à s’emmurer. Pour autant, nous ne devons pas rester spectateurs ou victimes, car ces jeunes Afri­cains qui décèdent sont les nôtres, c’est tragique pour l’Afrique. Nous, l’Etat, avons une responsabilité, tout comme les communautés, les familles, les diasporas, les migrants eux-mêmes. Nous devons cons­truire une alter­native à cette détresse, mais elle ne peut être immédiate et rapide. Dire le contraire, c’est verser dans la démagogie.

Nous avons construit une espérance, l’émergence ou le Yokkuté en 2035, il faut la raviver malgré les crises, et démultiplier les moyens hu­mains et financiers, les partenariats, les financements endogènes pour accélérer sa mise en œuvre et les impacts attendus. Voilà notre res­ponsabilité, faire fructifier l’héritage laissé par Macky Sall. Il nous faut un «ndeup» (séance d’exorcisme. Ndlr) collectif au Sénégal contre cette autoflagellation sur l’état du pays, contre ce phénomène et les populismes, et surtout pour un engagement renouvelé, col­lectif et ambitieux pour le Séné­gal de nos rêves, un Séné­gal de paix, de concorde et prospère.

Toujours dans cette logique de fournir un travail aux jeunes, com­ment comprendre le fait de confier la gestion du Ter à des étrangers, d’en­lever des mains des Sénégalais la distribution de l’eau en faveur des étrangers ? N’est-ce pas un poids deux mesures ?
Non, c’est une course de fond, pas seulement de vitesse. Il ne faut surtout pas verser dans ce que je dénonce, le rejet de l’autre juste parce qu’il est autre. A Dubaï, la première compagnie aérienne a été gérée par l’ancien Directeur général de British Airways. C’est devenu Emirates aujourd’hui. Si vous regardez la perspective du secteur privé, il est im­portant de savoir faire des partenariats stratégiques, des joint-ventures avec des étran­gers dans certains domaines pour aller plus vite, et rechercher certaines expertises ou capacités d’investissement. Il faut le faire en restant vigilants pour assurer aussi le développement de nos champions nationaux, ceux à capitaux majoritairement sénégalais. Mais attirer les grandes groupes étrangers peut participer à développer notre compétitivité et notre secteur privé, si on reste attentif. C’est la philosophie de l’Etat dans la loi d’orientation sur les Pme de 2020, notre intervention ou le cadre de contenu local pour le pétrole/gaz. On n’avait pas les ressources capitalistiques pour la découverte et l’exploitation. Mais l’objectif est de remonter la chaîne pour capter un maximum de retombées financières, hu­maines, technologiques… avec nos entreprises.

Que répondez-vous aux acteurs politiques qui soutiennent que «la Justice est aux ordres» ? Ils don­nent l’exemple de la gestion des présumés détourne­ments de derniers publics sur le fonds Force Covid et la rapidité à laquelle les affaires concernant les opposants sont vidées.
Je crois que c’est faux, mais de gros efforts sont à faire pour que cette perception s’estompe. Il est important d’écouter et de mieux communiquer, sur tous les sujets, car la perception de partialité ou que rien n’est fait sur certains sujets, importe parfois plus à l’heure des réseaux sociaux et de la souffrance des populations, que la réalité.
Propos recueillis par Malick GAYE

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