Au Sénégal, le front social est en ébullition depuis maintenant plusieurs jours et à quelques mois de la fin du mandat du président Macky Sall. L’éducation, la santé, la justice et l’administration connaissent des tensions avec des grèves annoncées ou en cours.
La semaine dernière, le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) avait décrété une grève de 48 heures les 6 et 7 novembre prochains en guise de protestation contre la fermeture de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Cette grève se traduit par la cessation des activités pédagogiques (cours, soutenances, délibérations y compris pour les formations payantes), et l’arrêt de toute participation à des activités administratives et réunions.
Les syndicalistes demandaient aux militants l’arrêt immédiat des cours dispensés en ligne dans toutes les universités publiques construites sur le modèle de l’enseignement présentiel et fermées pour des « motifs politiques ». A l’issue d’une réunion du Conseil académique de l’Ucad jeudi, il a été décidé de finaliser les activités pédagogiques de l’année 2022-2023 en mode distanciel, sous la supervision et l’accompagnement attentif du Rectorat. Cette mesure vise à assurer la continuité de l’enseignement tout en tenant compte des impératifs de sécurité actuels ».
De plus, le Conseil a pris l’initiative de prolonger les travaux du comité de sécurité. Ce dernier « a pour mission de formuler des recommandations précises concernant les scénarios envisageables pour une reprise des cours en présentiel. Ces propositions, élaborées en tenant compte de l’évolution de la situation sécuritaire, devront être soumises au Conseil académique au plus tard le 30 novembre 2023 ».
And Gueusseum exige le paiement des augmentations salariales
Depuis quelques jours, le torchon brûle entre le directoire de l’Alliance des Syndicats Autonomes de la Santé (ASAS) et le ministère de la Santé et de l’Action sociale, dirigé par Marie Khémess Ngom Ndiaye.
Dans leur dernière sortie, les syndicalistes avaient sollicité une audience de conciliation auprès du Premier ministre Amadou Ba pour trouver une porte de sortie à cette crise. Un bras de fer relatif au paiement des augmentations de salaire aux contractuels des Établissements Publics de santé, à ceux du PNDSS, aux agents administratifs du MSAS, aux agents des structures parapubliques (universités et autres) et aux agents des collectivités territoriales.
Seulement, d’après le communiqué de And Gueusseum, la circulaire signée par le secrétaire général du ministère de la Santé et de l’Action sociale, informant de la commission d’un cabinet privé pour effectuer une collecte d’informations sanitaires et sociales, constitue une « provocation ».
96H de port/de brassards rouge dans toute l’Administration
Les agents de l’Administration sénégalaise s’indignent du traitement discriminatoire dont ils sont victimes. En conférence de presse hier, Omar Dramé, Coordinateur du Collectif interministériel des agents de l’Administration sénégalaise, s’offusque du traitement discriminatoire entre les différents corps de l’Administration.
« Il est regrettable de constater une certaine discrimination entre les différents corps dans le cadre de la reconnaissance et du reclassement des diplômes, mais aussi une discrimination entre les agents fonctionnaires et décisionnaires, surtout sur les traitements salariaux et indemnitaires des agents de l’Administration », dit-il.
Un autre point non moins important qui fâche les fonctionnaires de l’Administration l’indemnité de logement. « Il nous est difficile d’accepter que, sur les 170 000 travailleurs de la Fonction publique, 140 000 en bénéficient alors que les 30 000 agents qui réalisent le gros du travail sont laissés en rade. C’est cette injustice que nous subissons au sein d’une même Administration.
C’est incompréhensible, inconcevable et inacceptable », crient Omar Dramé et ses camarades.
M. Dramé signale qu’en mars 2023, le ministre des Finances avait reçu le collectif et l’avait signifié l’impossibilité d’octroyer cette indemnité de logement en 2023, puisqu’elle n’est pas budgétisée. Mais qu’avec les perspectives économiques du Sénégal en 2024, cette indemnité pourrait être prise en compte dans le budget.
Ses revendications non satisfaites jusqu’ici, le Collectif interministériel des agents de l’Administration sénégalaise a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il a ainsi décliné un plan d’action pour se faire entendre. Aujourd’hui vendredi, Omar Dramé et Cie tiennent une journée d’information et de sensibilisation des travailleurs des 18 ministères qui composent le collectif. Lundi 13 novembre 2023, le collectif compte organiser 96H de port/de brassards rouges dans toute l’Administration et sur toute l’étendue du territoire national.
Le jeudi 23 novembre, une marche nationale est prévue. Et enfin, le jeudi 30 novembre, le collectif va entamer une grève de 48H, avec pour objectif de paralyser toutes les activités de l’Administration.
Le dépôt d’un préavis de grève du SYTJUST
Le Syndicat des Travailleurs de la Justice (SYTJUST) a déposé un préavis de grève, le 19 octobre 2023, pour mettre le Ministre de la Fonction publique devant ses responsabilités. Celui-ci refuse d’harmoniser sa position à celle du Garde des Sceaux, Ministre de la justice qui lui a proposé un nouveau projet de décret portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de la justice dans l’optique de corriger un sabotage qui bloque depuis cinq ans le passage des greffiers à la hiérarchie A2 et le reclassement du personnel du Ministère de la justice dans le corps des assistants des greffes et parquets.
LES RAISONS DU PREAVIS
Le Conseil des ministres avait adopté, le 25 juillet 2018, le projet de décret portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de la justice qui prenait en charge des points d’accord entre le gouvernement et le syndicat des travailleurs de la justice (SYTJUST). Ce projet de décret portait ainsi une réforme statutaire qui allait offrir un bon plan de carrière aux fonctionnaires de la justice.
Après cette adoption, des juristes au ministère de la Fonction publique, de connivence avec certaines personnalités du Ministère de la justice et par jalousie, avaient dissimulé, pendant plus de six mois, le projet de décret pour qu’il ne fut pas soumis à la signature du Président de la République.
En réaction, le SYTJUST avait déclenché, en fin novembre 2018, une grève qui s’était prolongée jusqu’au début de la campagne électorale des présidentielles de février 2019.
Face à la pression, ces juristes avaient changé de stratégie et étaient parvenu à tromper la vigilance du ministre de la Fonction publique d’alors. En effet, ils lui avaient fait soumettre à la signature du Chef de l’Etat un projet de décret falsifié dont les dispositions remettaient en cause l’engagement solennel de son Excellence le Président de la République et les points d’accord entre le gouvernement et le SYTJUST.
En d’autres termes, ces juristes au ministère de la Fonction publique avaient sciemment dénaturé le projet de décret qui avait été adopté en Conseil des Ministres. Ils avaient ainsi altéré une délibération du gouvernement et abusé de la confiance du Chef de l’Etat.
Le projet de décret qui avait été adopté par le Conseil des Ministres, le 25 juillet 2018, avait pour objet l’abrogation et le remplacement du décret n° 2011-509 du 12 avril 2011 portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de la justice, tandis que celui qui avait été falsifié et soumis à la signature du Chef de l’état avaient abouti à des modifications du statut précité.
Cette grave prévarication bloque depuis cinq ans le passage des greffiers à la hiérarchie A2 et le reclassement du personnel du Ministère de la justice dans le corps des assistants des greffes et parquets, retardant gravement la mise en œuvre d’une réforme consensuelle. Elle est la principale source de tensions sociales dans le service public de la justice telles que les 73 jours consécutifs de grève en 2020.
Dans l’optique de corriger la forfaiture dont il a été informé et sensibilisé par le SYTJUST, le Ministre de la justice, a élaboré par les soins des services techniques de son département un autre projet de décret portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de la justice qu’il a déjà communiqué au Ministre de la Fonction publique pour que ce dernier, dans le cadre de ses attributions, le soumette à la signature du Chef de l’Etat. Toutefois, il semblerait que la bonne foi de ce dernier a été fortement influencée par les positions de certains membres de son entourage qui se sont toujours montrés rétifs à la réforme positive que le gouvernement avait déjà consentie d’entreprendre sur le statut particulier du cadre des fonctionnaires de la justice.
Le ministre de la Fonction publique, ne faisant pas preuve de solidarité gouvernementale, a refusé d’harmoniser sa position à celle du Ministre de la justice pour ne pas contrarier les pourfendeurs de la réforme qui sont à sa proximité.
Pourtant, le SYTJUST a fait la même démarche de sensibilisation auprès du Ministre de la Fonction publique qui avait accordé, le 31 janvier 2023, une audience au secrétaire général du SYTJUST accompagné de son adjoint. A l’occasion, devant le ministre et en présence du Directeur général de la Fonction publique, les deux plénipotentiaires des travailleurs de la justice avaient amplement exposé à l’autorité ce qui s’était réellement passé depuis le 25 juillet 2018. Par la suite, les syndicalistes avaient déposé un mémoire et des documents à l’appui de leurs explications.
C’est dans cette dynamique de sensibilisation, que le SYTJUST informe l’opinion publique, à travers cette conférence, pour qu’elle puisse comprendre que ce qui est en train de se jouer est une dénonciation de faussaires qui, par une falsification, ont dénaturé les délibérations du gouvernement dans l’unique but d’empêcher la matérialisation des acquis des travailleurs.
Le ministre de la Fonction publique est « l’unique responsable » des perturbations qui surviendront dans le service public de la justice à l’expiration du préavis de grève que le SYTJUST a déposé dès lors qu’il a visiblement pris fait et cause pour les fossoyeurs de la réforme statutaire entreprise par le gouvernement.