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Enquête – Voies de communication : UN PAYS EN ROUTES

Ces 12 dernières années, le régime Sall a entrepris de promouvoir l’équité territoriale. A travers certains programmes comme le Pudc, Puma, Promovilles, le Projet d’amélioration de la connectivité des zones agricoles du Nord et du Centre (Pcza), l’Ageroute, entre autres, il essaie de connecter le Sénégal à travers des routes et des autoroutes pour une continuité territoriale, d’exploiter les potentialités économiques des zones rurales. Il reste encore du chemin à faire à l’image des populations du Cayor des profondeurs, qui veulent aussi emprunter les «routes du développement». Pour l’instant, le retard plombe les zones, qui ont du mal à décoller.

Par Cheikh CAMARA – Il y a le bruit des machines, qui terrassent, mettent à niveau des pistes et les noircissent de goudron. Il y a aussi le cri des villageois, qui réclament toujours des pistes bitumées. Ces dernières années, les «rubans noirs» ont été placés au cœur des zones les plus reculées du pays. Mais, on n’est pas au bout de la route à cause du retard accumulé dans la réalisation des infrastructures.

Au cours d’une manifestation, à Ngadiam Ndiaye, dans le Cayor des profondeurs, les populations avaient crié haut et fort pour réclamer le «bitumage d’une piste de 53 kilomètres qui date de 1939, en très mauvais état». Maire de la commune de Koul, située dans l’arrondissement de Mérina Dakhar, département de Tivaouane, Modou Fall pose, presque gêné de le faire, ses doléances : «Je suis au regret de porter à la connaissance du Président Macky Sall le fait que les députés du Cayor ne vous donnent certainement pas la bonne information. Simplement parce qu’ils ne jouent pas leur rôle. Un député qui, depuis son élection en 2017, n’a jamais mis les pieds dans la zone pour s’enquérir des préoccupations des populations des villages en difficulté n’en est pas un.» C’est piste de 53 kilomètres en mauvais état. Or, elle part de Bambey, dans la région de Diourbel, traverse plusieurs collectivités locales dont les communes de Ngaye Mékhé, Koul, Baba Garage, Touba-Toul, jusqu’à Diogo.

Le Cayor également mérite ce qu’ont Dakar et Thiès
Le maire de Koul, Modou Fall, pose «un sérieux problème d’équité territoriale», et rappelle : «Cette piste qui date de 1939 a été tracée par feu Serigne Cheikh Mbacké Gaindé Fatma. Mais, tous les ans, même en 2020, à chaque vote budgétaire, on nous dit que les travaux de bitumage sont prévus dans le budget. En vain !» Pourquoi cette route n’a toujours pas été goudronnée ? Modou Fall explique : «En 2016, on avait lancé un appel d’offres qui englobait cette piste et l’île à Morphil, qui a déjà vu sa route bitumée. Mais, toujours, les communes traversées par cette route Bambey-Diogo attendent son bitumage.»

Autoroutes, pistes rurales… : Macky Sall sur les «routes du développement»

Les populations attirent l’attention sur l’importance de cette route pour l’intégration sociale et économique. «Elle est d’une importance capitale pour nous, d’autant qu’elle relie non seulement des régions, mais, au-delà, des pays, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie. Si jusqu’à présent, nous persistons à réclamer son bitumage, c’est parce que, pour nous, il ne saurait être question de parler d’émergence sans disposer de routes bitumées», ajoutent les populations. Elles rêvent de circuler sur une piste noire en bon état. N’est-ce pas ? «Oui, le Cayor, également, mérite ce qu’ont Dakar et Thiès. Sinon même plus, parce que c’est le monde rural qui porte le développement du pays. Mais ce monde rural, quels que soient sa volonté et ses efforts, s’il ne bénéficie pas de routes goudronnées, finira toujours par dilapider sa production», s’offusquent les villageois. Latyr Samb, né en 1944, s’est exprimé au nom des chefs de villages traversés par la mauvaise piste, la dame Pathé Mbaye, pour les femmes, et Babacar Diop, représentant du Collectif de ladite piste rurale. Modou Fall ne cache pas ses interrogations : «Un pays encore sous-développé doit savoir cibler ses priorités, parce que les routes dans le monde rural constituent une sur-priorité.»

«Où se trouve le blocage», se demandent les populations. Elles organisent depuis 2006 des manifestations de protestation, des marches, des points de presse, entre autres mouvements d’humeur, pour demander le bitumage de cette route. En vain ! Le maire de Koul renchérit : «En 1999, on nous avait fait savoir qu’une société avait gagné le marché du bitumage de la route en question. Mais jusqu’à présent les citoyens des communes riveraines n’ont pas vu le plus petit centimètre carré de goudron. Il est temps d’interpeller directement le chef de l’Etat pour savoir si oui ou non il a donné des ordres pour le bitumage de cette piste et qui a bloqué l’exécution de ses instructions.»
Aujourd’hui, les habitants des communes concernées éprouvent d’«énormes difficultés avec nos femmes enceintes qui perdent souvent leur grossesse au cours de leur évacuation à Mékhé, avec nos paysans qui sont obligés de brader leurs récoltes faute de bonnes pistes de production.» Le réquisitoire du maire de Koul est sans appel : «Nous sommes en train d’être appauvris par cette route. Il y a des gens qui quittent Dakar pour venir à Mékhé, avec 1000 F Cfa seulement, mais sont tenus de débourser la somme de 3 mille F Cfa pour le trajet Mékhé-Ngadiam, sur six kilomètres.»

Diogo-Mboro et Diogo-Diogo sur mer
Cœur de l’exploitation du zircon, Diogo nourrit d’autres ambitions. Regroupées au sein de la plateforme «And Takhawu sunu gokh», les populations de Diogo et ses environs, dans la commune de Darou Khoudouss, arrondissement de Méouane, département de Tivaouane, ne se sont pas lassées de réclamer les travaux de construction de leurs routes. Plus d’une fois, elles ont exprimé au ministre des Infrastructures, des transports terrestres, Mansour Faye, et à tous les Départements ministériels compétents, leur «profonde inquiétude» et leur «désarroi» face à «l’état défectueux et cahoteux du tronçon routier Diogo-Mboro et de l’axe Diogo-Diogo sur mer». La réhabilitation de ces routes est prévue dans le cadre du programme du Projet d’amélioration de la connectivité des zones agricoles du Nord et du Centre (Pcza). Les travaux devaient démarrer depuis le 1er juillet 2023, d’après la Direction de l’Ageroute. Soit un retard de presque 5 mois.

Livraison des travaux de construction de «Thilmakha-Digne Yew» : Trait d’union de Niakhène

Le porte-parole du jour des populations, Mamadou Vieux Bâ, explique : «Le discours du président de la République, le 10 février 2023, à Tivaouane, lors du Conseil ministériel décentralisé de la région de Thiès, annonçant le bitumage des axes routiers Diogo-Mboro et Diogo-Diogo sur mer, avait plongé les populations du littoral et de la zone des Niayes dans une profonde joie car espérant que toutes leurs difficultés liées à l’état défectueux de ces tronçons allaient être un vieux souvenir aujourd’hui.» Mais, il est encore dans l’attente : «Aujourd’hui, l’inquiétude et la déception animent toujours le quotidien des populations. La détérioration de ce tronçon, colonne vertébrale de la zone des Niayes, affecte dangereusement l’économie des braves paysans, les réduit à une pauvreté endémique et finit par pousser les jeunes de la localité à explorer les périlleuses voies de l’émigration clandestine vers l’Europe et les Amériques.» Il rappelle le drame de de Fass Boye dont la pirogue qui a dérivé vers les îles du Cap-Vert a fait plus de 60 morts. «Des jeunes, tous paysans, pêcheurs ou commerçants habitant la zone des Niayes», précisent-ils. «Nous demandons à l’Etat du Sénégal d’intercéder auprès de l’entreprise, détentrice du contrat, pour un démarrage rapide des travaux de ces axes routiers pour le bien-être et la quiétude des populations locales», ajoute le porte-parole des villageois.

Il y a cet espoir aussi qui subsiste au milieu des épaisses couches de latérite qui enveloppent certains villages. «Il en est de même avec l’axe Fass Boye-Mékhé-Baba Garage dont les travaux, démarrés depuis quelques années, peinent à avancer jusqu’à aujourd’hui, au grand dam des populations», rappelle Mamadou Vieux Bâ. Au milieu du pays Cayor, c’est une doléance pour une zone intégrée afin d’exploiter ses potentialités économiques. Le bitumage des tronçons routiers Ségueul-Darou Diouf, Andal-Santhie et Mboro-Neuylou-Darou Salam Diouf va changer le visage de la zone. «Le terrassement a déjà démarré, mais les travaux connaissent aujourd’hui un arrêt sans explication aucune. Ces localités abritent des chefs religieux qui méritent appui et soutien, et le bitumage de ces pistes pourrait alléger leur calvaire et faciliter l’accès des fidèles vers ces foyers religieux», expose Bâ.

Lenteurs des travaux de la route Mékhé-Thilmakha 
A travers une grande marche, les populations du Cayor des profondeurs ont décrié «les lenteurs des travaux de la route chaotique Mékhé-Thilmakha, qui traînent depuis 2 ans». Et les conséquences sont évidemment «les accidents récurrents sur cet axe, souvent mortels», en plus de «la poussière dangereuse pour la santé publique», du «blocage de toute l’économie locale». Mobilisées autour de la plateforme «Entente Cayor-Mbackol», ces populations impactées, accompagnées de plusieurs maires de communes, dans le Cayor, dont Moustapha Sylla de Mékhé, Modou Fall de Koul, Cheikh Ibra Ndiaye de Thilmakha, avaient marché pour réclamer «l’achèvement, dans les meilleurs délais, des travaux de la route Mékhé-Thilmakha dont l’état chaotique a, déjà, causé beaucoup de dégâts et même occasionné des pertes en vies humaines dans des accidents mortels de la circulation». Récemment, d’ailleurs, 3 personnes y ont laissé la vie dans une violente collision, entre deux véhicules de transport en commun, survenue à l’entrée de Thilmakha. Dans un mémorandum remis au sous-préfet de Niakhène, il y a été compilé «l’état chaotique de la route Mékhé-Thilmakha, les lenteurs incomprises, inacceptables, notées sur l’évolution des travaux et qui impactent très négativement l’économie locale, le non-arrosage permanent et complet de l’axe pour atténuer la poussière, la récurrence des accidents notés depuis le début des travaux, entre autres». Sans oublier les «accidents devenus répétitifs, avec beaucoup de pertes en vies humaines, en plus des dégâts collatéraux». Des évènements tragiques causés par «les lenteurs et manquements notés dans l’exécution de la réhabilitation de l’axe Mékhé-Thilmakha».

Exploitation des potentialités économiques
L’Entente Cayor-Mbackol a pris l’initiative de dénoncer «ces anomalies à travers cette marche pacifique, pour que des solutions définitives et durables puissent être prises par les autorités compétentes, avant que l’irréparable ne se produise». Selon elle, «depuis plus de 40 ans, cette route n’a jamais été entièrement bien reprise. A chaque fois, c’est du bricolage». Aux yeux de l’ex-maire de Pékesse, Djibril Mbaye, «il s’agit maintenant de la route de la mort, qui n’épargne ni les personnes ni les animaux». «Les chantiers traînent depuis 2 ans, et le Cayor des profondeurs en a aujourd’hui assez. Nous n’avons besoin d’aucun protocole, tout ce qu’il nous faut, c’est l’achèvement des travaux dans les meilleurs délais, comme cela se fait partout ailleurs», exige-t-il.

Ces populations, désemparées, rappellent que «la zone traversée revêt une importance économique capitale, du fait de l’existence d’au moins trois marchés hebdomadaires (Mékhé, Pékesse et Thilmakha) très bien fréquentés. Et au-delà de cette dimension économique, la route est empruntée par les pèlerins du Magal de Touba, ceux de Darou Marnane, Darou Mousty, sans oublier le Gamou de Tivaouane et celui de Fass Touré, en plus de tous les autres évènements religieux de la localité».

Cette route sert aussi pour des évacuations sanitaires de malades de cette partie du Cayor, référés d’urgence selon la pyramide sanitaire : Mékhé, Tivaouane, Thiès et même Dakar. «Nous n’avons pas la prétention d’exiger la révision ou l’annulation du contrat, mais, en tant que citoyens, nous pensons avoir le droit de réclamer, pour ne pas dire exiger, un traitement équitable vis-à-vis de nos concitoyens, ne serait-ce que pour l’équité territoriale tant vantée par le régime en place qui, quoi qu’on puisse dire, est champion en matière d’infrastructures routières. Le Cayor ne réclame que 43 km de route goudronnée. Le Président Macky Sall n’a pas la bonne information par rapport aux maux qui plombent le développement du Cayor des profondeurs», note l’Entente Cayor-Mbackol. Le ballet des camions et des «Caterpillar» soulève autant de poussière que d’interrogations, et aussi d’espoir.
Correspondant

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