POLITIQUE

ITW Coly Seck, représentant du Sénégal à Genève : «Le Sénégal rejette toute légalisation des droits des Lgbt»

Coly Seck, ambassadeur et représentant permanent du Sénégal auprès de l’Office des Nations unies à Genève, est un diplomate d’une grande expérience. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dire sa conviction et sa vision du monde. Dans cet entretien, il revient sur la participation du Sénégal aux travaux de la 45ème session du groupe de travail sur l’Examen périodique universel (Epu), tout en mettant en exergue les avancées notées et saluées du Sénégal par les pairs en matière de promotion et de protection des droits de l’Homme. Dakar a profité de l’Epu pour réaffirmer sa position qui exclut toute idée de légalisation de la question Lgbt. Il est revenu, entre autres, sur la situation des Sénégalais en Suisse, les liens entre la migration et la mobilité des personnes, avant de faire un bref bilan de la représentation diplomatique du Sénégal à Genève.

La 45e session du groupe de travail sur l’Examen périodique universel (Epu) a débuté depuis le 22 janvier et se poursuit jusqu’en février. Quelle a été la participation du Sénégal ?
La participation du Sénégal a été très efficace et extrêmement importante. C’était notre quatrième passage puisque le dernier remonte à 2018. L’examen périodique universel est un mécanisme d’examen par les pairs. Chaque 4 ans et demi, les pays viennent faire le point sur leur système de promotion et de protection des droits de l’Homme. C’était l’occasion pour le Sénégal, depuis notre dernier passage, de faire le point sur la situation des droits de l’Homme. Que ça soit sur le droit des femmes, des enfants, des libertés, les questions de genre, etc. Des évolutions très positives ont été notées et appréciées par les Etats. Qui se sont félicités aussi bien des avancées notées sur les droits sociaux, économiques et culturels que sur les droits civils et politiques.

Quand bien même, il y a eu d’autres recommandations portant sur les questions sociétales et pour lesquelles le Sénégal a répondu. A titre d’exemple, sur la question des Lgbt, Mme la Garde des sceaux a été très claire. Elle a ré-exprimé la position du Sénégal, qui exclut toute idée de légalisation de la question Lgbt au Sénégal. Elle a aussi expliqué que le Sénégal rejetait des notions controversées comme la notion d’éducation sexuelle intégrale, droits sexuels et reproductifs qui comportent d’autres enjeux que le Sénégal ne cautionne pas. In fine, ce fut une première présentation très positive. Cent vingt-trois pays ont pris la parole et l’écrasante majorité a félicité le Sénégal sur ses avancées avec des recommandations sur lesquelles on travaille déjà.

Il s’agit par exemple de la question des enfants talibés, l’amélioration des conditions dans les daaras, entre autres. Et, il se trouve qu’on y travaille. Il y a d’autres questions qu’on a simplement rejetées. C’est aujourd’hui même (vendredi 26 janvier dernier) que notre rapport sera adopté. Nous aurons encore 4 ans et demi pour mettre en œuvre nos engagements en matière de respect et de protection des droits de l’Homme. Je dois cependant dire et de manière solennelle, en matière de droit de l’Homme, quoiqu’on puisse dire, le Sénégal est un exemple.

Pour avoir été en station à Genève depuis 6 ans au moins, j’ai eu à effectuer deux mandats au sein du Conseil des droits de l’Homme (2018-2021 et 2021-2023) et avoir présidé le Conseil des droits de l’Homme en 2019. C’était la 3e fois seulement que le Sénégal présidait cet organe à ce niveau-là. Je peux vous garantir qu’en matière de promotion et de respect des droits de l’Homme, le Sénégal est un pays phare et un pays respecté. Maintenant, les droits de l’Homme, c’est un idéal. Il faut toujours continuer à travailler. C’est tout le temps des défis. Le gouvernement sénégalais en est conscient et s’attelle à ça.

Revenant sur le cas de la Suisse, quelle est la situation actuelle des Sénéga­lais ?
C’est une situation qui n’est pas compliquée comme dans d’autres pays de l’Europe. On a une communauté qui tourne autour de 2000 personnes au maximum, avec une forte présence de binationaux. Ces derniers sont en situation régulière. Ils ont leur travail également. Cependant, ces dernières années, avec les crises notées, il y a eu des compatriotes qui sont venus d’autres pays d’Europe pour essayer de tenter leur chance en Suisse. Mais, c’est un pays assez compliqué en termes d’obtention de papiers. Ce n’est pas facile de se régulariser, encore moins travailler.

Il y a eu des Sénégalais en situation irrégulière ces dernières années. Pour certains, il y a eu malheureusement des reconduites au pays. Ce qui est tout à fait normal dans le cadre des relations internationales et de la coopération. De manière générale, on travaille avec la communauté qui est notre raison d’être ici pour en cas de besoin, leur venir en aide et faire en sorte que leurs droits ne soient pas bafoués et qu’ils soient respectés dans le pays. Mais, cela est dirigé exclusivement pour ceux qui ont la nationalité sénégalaise. Pour ceux qui ont la binationalité, cela dépend de quelle nationalité ils se prévalent.

Le gouvernement du Sénégal a initié beaucoup de projets et programmes en faveur des Sénégalais à l’étranger. Est-ce qu’à Genève, les compatriotes sénégalais en bénéficient ?
Tout à fait, et parmi ces programmes, je sais que le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise) est venu ici, il y a à peu près trois années. A cette occasion, une soixantaine de Sénégalais ont pu bénéficier de financements. C’est-à-dire ceux qui voulaient être financés. Parce que la réalité est aussi que tout le monde n’a pas besoin d’être financé. Il y a des Sénégalais qui sont stables. Néanmoins, ceux qui ont manifesté le besoin, le Faise a procédé à des financements. Cependant, le suivi se fait au niveau de Dakar.

Pour ma part, je n’ai pas entendu de problème particulier en lien avec ces financements. Ce qui voudrait dire peut-être que le fonds d’appui a pu suivre les Sénégalais bénéficiaires dans l’exécution de leurs projets. Par ailleurs, l’immigration en Suisse est un peu différente des autres pays. C’est l’un des pays les plus riches d’Europe et les Sénégalais qui sont là pour la plupart sont bien intégrés. Ils ont un emploi et sont stables. La difficulté d’obtenir des papiers ou du travail en Suisse expliquerait peut-être pourquoi ce pays ne compte pas beaucoup de Sénégalais. Il en est d’ailleurs de même pour les autres nationalités.

Ce sont des chiffres assez raisonnables. On ne retrouve pas des dizaines de milliers, mais quelques centaines. Pour les logements également, c’est une plateforme qui a été ouverte au niveau national. Les gens n’ont pas besoin de passer forcément au niveau de l’ambassade pour pouvoir s’inscrire. De nos jours, beaucoup de procédures ont été simplifiées et allégées. Mais, je sais que s’ils sont intéressés par ces logements, ils seraient partis directement s’inscrire dans le site du ministère.

Certains compatriotes rencontrés à Genève soulèvent la difficulté du renouvellement de leurs documents de voyage. Quel est le dispositif qui est mis en place pour accompagner ces derniers ?
En fait, lorsqu’on parle de documents de voyage, il s’agit du passeport principalement. Sinon, c’est le sauf-conduit qu’on peut vous établir. Ce document vous permet de voyager immédiatement. Mal­heureusement, le passeport sénégalais n’est pas établi dans toutes les ambassades. Peut-être pour des questions pratiques ou de moyens, il est établi soit à Dakar, Paris, Lyon, à Bruxelles, en Italie pour se faire enrôler. En Suisse, on ne dispose pas d’un système d’enrôlement. Les Sénégalais établis en Suisse doivent se rendre à Lyon, à 2 heures de route, pour se faire enrôler. Une ou deux semaines après, les dossiers sont transmis à Paris, au niveau du consulat qui dispose d’un centre de confection de passeports. Tout ce processus peut aller jusqu’à un mois avant l’obtention du document.

Toutefois, c’est depuis l’avènement du Covid-19 qu’on a constaté qu’il y avait un rush auprès de nos ambassades et consulats. Lorsqu’il s’est posé le problème de circulation, beaucoup de Sénégalais, qui sont des binationaux, se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas se rendre au Sénégal sans des papiers sénégalais. C’est à ce moment qu’on a constaté qu’il y a eu un rush depuis lors. Maintenant, pour avoir un rendez-vous, il faut entre un (1) et trois (3) mois au regard des moyens limités de nos consulats. Ils ne peuvent pas prendre plus de 100 personnes peut-être par jour. Ce sont des lenteurs qui peuvent s’expliquer.
De manière globale, le Sénégal fait beaucoup d’efforts en comparaison à d’autres pays où il est impossible de se faire établir un passeport à l’extérieur. Il faut repartir au pays pour renouveler son passeport et revenir. Il faut saluer l’effort du Sénégal qui a consenti l’érection de centres de production de passeports. Il n’en existe pas partout. Mais, il y a des zones polarisatrices de certaines zones géographiques plus proches. En Europe, en tout cas, on peut se faire enrôler en Espagne, Italie, France, Belgique. Maintenant, si le passeport n’est pas disponible, le Sénégalais qui a besoin d’un sauf-conduit peut toujours l’obtenir dans les 24h, se rendre à Dakar et renouveler son document de voyage.

Le Forum mondial sur la migration et le développement, qui vient de s’achever à Genève, s’est intéressé à l’impact du changement climatique sur la mobilité des personnes. Quelle lecture en faites-vous ?
C’est une thématique à la fois pertinente et d’actualité. La migration constitue l’un des dossiers les plus importants à Genève. Le Sénégal suit ce dossier de très près. Conscient que les Sénégalais voyagent beaucoup. Nous avons participé activement aux négociations du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. C’est un pacte qui devrait être en principe appliqué sans problème. Mais, c’est un instrument politique qui n’est pas juridiquement con­traignant. D’ailleurs, il y a de cela quelques années, beaucoup de pays avaient refusé de se joindre au pacte du fait des opinions publiques d’Extrême-droite qui pensaient que le pacte était un moyen de favoriser l’arrivée de migrants en Europe.

Or, ce n’est pas du tout le cas. C’est une manière de prendre en compte un problème global pour le régler avec des solutions globales. Ce, en faisant en sorte que les migrations se fassent de manière sûre et respectant les droits humains sur la base des principes négociés à l’avance. Pour permettre aux étudiants de circuler, aux hommes d’affaires, bref, à ceux qui veulent tenter leur chance également, de le faire dans la légalité. Entre temps, il faut dire qu’il y a eu beaucoup d’avancées avec le changement survenu à la tête de la Direction générale de l’Oim. Dont la nouvelle présidence s’inscrit dans l’inclusion, le dialogue avec l’implication de toutes les parties prenantes pour ramener la confiance. Parmi les thèmes retenus dans les discussions profondes avec les Etats figurent en bonne place le changement climatique et la migration. On sait que la rareté de l’eau, des ressources, les difficultés dans le Sahel, entre autres, ont fait que les populations n’arrivent plus à trouver les ressources qu’il faut sur place.

Parfois, pour vivre décemment, cela s’est traduit par une volonté de migrer, changer d’horizon pour avoir une vie meilleure. C’est pourquoi on prend en charge non seulement ce dossier au niveau de l’Oim, mais c’est un dossier transversal. Il concerne l’Organisation internationale du travail (Oit) et d’autres agences des Nations unies. C’est le cas de l’Orga­nisation mondiale du commerce (Omc), l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Dans toutes ces organisations aujourd’hui, la question du changement climatique est au cœur des discussions. On essaie de trouver une synergie entre les organisations pour faire en sorte que les Etats prennent des mesures concrètes de solidarité en vue de soulager les populations.

La question du réchauffement ou de la migration ne concerne pas seulement l’Afrique. Les gens oublient souvent la mobilité africaine et interafricaine. Les mouvements de l’Afrique vers l’Europe sont moins importants. Partout les gens bougent pour essayer d’aller vers d’autres horizons pour de multiples raisons. Parfois, ce n’est pas que pour des raisons économiques. C’est le thème du dérèglement climatique qui a été abordé cette année au cours du forum et on va s’assurer du suivi auprès de l’Oim. Elle a sur sa table cette question pour de longues années encore au regard de la situation mondiale actuelle et toutes les raisons évoquées un peu plus haut. Il s’y ajoute la réticence de certains pays d’accueil de migrants dont les opinions publiques sont très résistantes pour la mise en œuvre du pacte. Il y a aussi au niveau des Etats où parfois les discussions sont très lentes. Il faut parfois faire des concessions, accepter certaines choses et rejeter d’autres, etc. on ne dit pas qu’il faut ouvrir toutes les frontières.

On dit seulement que les personnes qui le souhaitent doivent pouvoir le faire partout dans le monde pour se soigner, étudier, faire des affaires ou changer tout bonnement de perspectives. L’idée est d’ailleurs acceptée avec le Pacte mondial qui reconnaît que la migration est une question globale qu’il faille régler avec des solutions globales. Maintenant, les Etats doivent s’armer de bonne volonté et de patience, parce que ce sont des questions difficiles. Parfois, un pays peut être engagé avec son gouvernement en place, mais dès que ce dernier change, cela peut avoir des impacts sur le processus déjà amorcé par l’ancien gouvernement si les priorités ne sont pas les mêmes ou n’ont pas les mêmes intérêts. C’est ce qui rend parfois difficiles les négociations. Mais, le plus important, c’est qu’on s’accorde sur les liens intrinsèques entre le changement climatique et les migrations.

Quel est le bilan de la représentation diplomatique du Sénégal cette dernière année et les conséquences du saccage de certains édifices diplomatiques ?
Bon ! A Genève nous avons une ambassade, mais aussi une représentation permanente qui s’occupe du volet multilatéral. C’est-à-dire que nous assurons le suivi de toutes les réunions qui se passent à Genève auprès de la quarantaine d’organisations internationales. Parmi lesquelles l’Organisation des Nations unies (Onu), l’Organi­sation mondiale du commerce (Omc), l’Organisation mondiale de la santé (Oms), l’Orga­nisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), l’Organisation internationale du travail (Oit), l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), entre autres. Toutes ces organisations et les questions qui y sont traitées sont importantes et déterminent l’avenir de ce monde.

Ces deux dernières années, il a beaucoup été question de la pandémie du Covid-19 avec la disponibilité des vaccins, des médicaments. Beaucoup d’efforts ont été faits en ce sens par notre Président, Monsieur Macky Sall. Il a été en première ligne pour faire un plaidoyer fort en faveur de la disponibilité des vaccins. Bientôt dans quelques mois, le processus de certification va finir avec l’Organisation mondiale de la santé. Aujourd’hui, il est heureux que le Sénégal devienne un pays producteur de vaccins et de médicaments avec un grand vaccinopôle. Tout ça, ce sont des avancées importantes.

Idem sur le plan du commerce, nous traitons de questions très importantes. Nous travaillons à suivre sur les préférences quant à la disponibilité des engrais, le traitement spécial différencié, les accords sur la pêche, etc. Il y a un lien très étroit entre l’Organisation mondiale de la santé et celui du commerce et l’Ompi. Trois pays africains, notamment le nôtre, le Rwanda et l’Algérie, vont être des pays producteurs de vaccins et de médicaments. Cela aura un impact sur les pays africains. On ne le souhaite pas, mais s’il y a des pandémies, nos pays seront capables de fabriquer des vaccins sur place qui pourront s’exporter partout en Afrique. Le marché existe déjà.

Pour ce qui est des saccages, c’est malheureux. Même si on a dépassé ces épisodes. Les ambassades sont des propriétés du Sénégal, de tous les Sénégalais. Les diplomates qui y sont affectés sont des fonctionnaires sénégalais qui ne font pas de politique. Mais, ils défendent l’Etat du Sénégal. Il n’y a pas un Sénégalais plus patriote que le diplomate. Nous défendons les intérêts du Sénégal à longueur de journées, et parfois c’est sur des virgules et points-virgules pour faire en sorte que l’intérêt de notre pays passe en premier. Venir saccager des ambassades, c’est tout simplement un acte inacceptable. A notre niveau, on a porté plainte immédiatement et les responsables ont été identifiés. Les dossiers sont entre les mains de la Justice suisse. Cette affaire sera suivie jusqu’au bout. Les Sénégalais qui s’attaquent aux biens du pays vont devoir faire face à leurs responsabilités et les réparations qu’il faut seront décidées par la Justice.
Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO (Envoyé spécial à Genève)

Articles du même type

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Close