Dans le cadre de la supposée pacification de l’espace public, une vaste opération de libération de détenus est en cours. Pour l’instant, une certaine opacité entoure le processus poussant la ministre de la Justice à briser le silence cet après-midi. Pour le procureur de la République, ce sont bien les juges d’instruction, qui ont signé les ordonnances de mise en liberté.
Par Bocar SAKHO – Après l’euphorie et la joie qui accompagnent la libération des détenus «politiques» depuis jeudi, l’heure des vraies questions : quel mécanisme juridique a été mis en branle pour libérer autant de monde ? Les juges d’instruction ont-ils levé eux-mêmes les mandats de dépôt ? S’agit-il de libertés provisoires ? Ces interrogations vont encore raviver le débat sur l’indépendance de la Justice.
Garde des sceaux, ministre de la Justice, Me Aïssata Tall Sall tient cet après une conférence de presse sur l’actualité judiciaire. Ce sera le moment de lever les interrogations qui entourent cette vague de libérations. Joint par Le Quotidien, le procureur de la République, Abdou Karim Diop, assure que ce sont les juges d’instruction des différents cabinets qui ont signé les ordonnances de mise en liberté. Il faut l’admettre avec une cadence renversante. Puis les ordres de mise en liberté ont été transmis à la Direction de l’administration pénitentiaire. Elle a ouvert les portes des prisons à un millier de personnes, qui ont repris le chemin de la liberté. Comme si de rien n’était ! Dans les prochaines heures, une nouvelle vague est attendue au grand bonheur de leurs familles, qui sont heureuses de retrouver leurs enfants sans se soucier bien sûr des procédures mises en place.
Implication des juges d’instruction
Pour l’appareil judiciaire, il s’agit par contre d’une nouvelle preuve de la mainmise de l’Exécutif sur lui. Car, au nom d’un supposé dialogue politique qui se passe en coulisse, plus d’un millier de personnes ont recouvré la liberté. Alors que les actes d’instruction de leurs dossiers n’étaient pas épuisés. D’autres n’ont même pas été entendus dans le fond par les magistrats instructeurs. Parmi les «libérés», il y en a qui ont été renvoyés devant la Chambre criminelle le 7 mars prochain. Il y en a un autre dont le dossier est pendant devant la Cour de cassation dans le cadre de ses recours pour obtenir une liberté provisoire.
Par ailleurs, les avocats de certains «détenus» ont été aussi laissés en dehors de ces libérations. Pour y mettre la forme, ne fallait-il pas les y associer pour déposer des demandes de liberté provisoire pour leurs clients ? Ce qui aurait permis d’éloigner les suspicions d’arrestations arbitraires. Mais, l’Etat fait tout pour accréditer cette thèse vu le mécanisme juridique mis en place pour «mettre tout le monde dehors». Il faut savoir que la plupart des jeunes libérés avaient été arrêtés à la suite des événements de mars 2021 et juin 2023 puis inculpés pour appel à insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complot contre l’autorité de l’Etat, ainsi que d’autres chefs d’accusation.
Au nom d’un dégel politique, le régime Sall, sans le dire, est en train d’appliquer une sorte d’«amnistie» même si le Président a renoncé à son projet, qui avait provoqué peu d’adhésions. Avant cette vaste opération, il demandait, à travers le communiqué du Conseil des ministres du 7 février, au gouvernement, notamment à la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, de prendre les dispositions nécessaires «pour matérialiser sa volonté de pacifier l’espace public dans la perspective du dialogue national et de l’organisation de la prochaine élection présidentielle».
Mme le ministre de la Justice, Aïssata Tall Sall, tient, d’ailleurs, cet après-midi une conférence de presse. Elle ne manquera pas d’être interpelée par la presse sur la question.