Ce qui se passe à l’Agence de promotion des sites industriels (APROSI) s’apparente aux œuvres des bandits de grand chemin. Une mafia opère, dilapide et détourne les ressources publiques via une machination si sophistiquée qu’elle peut flouer les plus redoutables vérificateurs du pays. Plusieurs milliards ont été engloutis dans ces tours de passe-passe qui, par ailleurs, repose sur un solide réseau de corruption qui a ses tentacules au cœur de la haute administration. Investigation…
Une tradition de mal gouvernance bien ancrée
Entre l’Agence de Promotion des Sites Industriels (APROSI) et les scandales, c’est une longue histoire. Depuis sa création au début des années 2000, elle est victime de team management prévaricateur. Les déboires ont commencé avec le premier Directeur général, Fara Ndiaye Tall qui a assuré la transition de Sodida à l’APROSI. Il avait été lourdement épinglé dans un audit et mis en prison après l’instruction de la Division des investigations criminelles (DIC) en 2013.
Son Directeur administratif et financier (DAF), Papa Diagne qui était, lui aussi, poursuivi, a tout bonnement pris la clé des champs. Cette équipe était, elle aussi, empêtrée dans des magouilles immondes. Des sources concordantes révèlent que les membres du top management percevaient 500.000 francs CFA par jour ou par semaine.
La fréquence reste à être déterminée. Des pratiques qui ont empoisonné la vie des vétérans de cette boîte. Mme Mbengue, Fatou Barry l’une de nos guides pour la visite, par ailleurs directrice communication et marketing avait beaucoup souffert des quolibets de l’actuel personnel qui venait juste d’arriver. Cette ancienne directrice d’exploitation de la DID prenait souvent des disponibilités pour fuir les regards, mais aussi les piques de M. Ba et d’autres collègues. Elle ne savait peut-être pas que la situation pouvait être pire que celle du temps de Fara Ndiaye Tall.
À la suite d’une courte transition avec la nomination de Cheikh Oumar Hann, Docteur Ingénieur en génie des Procédés, Momath Ba a pris les rênes de l’APROSI en octobre 2014. Cet ingénieur polytechnicien est natif de Nioro du Rip dont il est le maire. Il dispose d’un CV balèze avec de grosses expériences qui justifient sa nomination à la tête de l’APROSI. Il a fait ses états de service aux Industries Chimiques du Sénégal (ICS) où il a véritablement gravi tous les échelons avant de devenir Directeur technique de la Sénégalaise de l’Emballage (Senembal), Directeur de Senhuile, Directeur Général fondateur de la SACIMAT.
Sa tête bien faite et bien pleine tranche d’avec ses pratiques et son mode de gestion de l’APROSI
APROSI, la “pouponnière” de Nioro
Momath Ba est bien entouré par des membres de sa famille et de sa ville natale. Il a nommé à des postes stratégiques ses proches parents. En effet, selon la source anonyme et après recoupement auprès d’une dizaine de membres du personnel, il se trouve que son Directeur Administratif et Financier (DAF) est son neveu.
Abdou Khouma Ba, c’est l’homme de main du Directeur général qu’il a utilisé pour établir un pont qui enjambe le service comptable sur bien des dossiers “chauds ou pouvant créer un scandale”. “En toute complicité avec son oncle, il était chargé de déposer les décomptes chez le ministre de tutelle pour signature”, renseigne notre source. Il est actuellement nommé directeur des sites industriels du Sénégal.
La présence de la famille proche et lointaine du Directeur général pourrait être caricaturée telle “un éléphant dans un magasin de porcelaines”. Elle est si encombrante qu’une bonne partie du personnel se dit vivre à l’ère du Big Brother. Tant la méfiance est à son paroxysme.
Cette gestion clanique et népotique a été plusieurs fois dénoncée sans succès. Nos confrères de Actusen lui avaient d’ailleurs consacré un article qui avait secoué l’entreprise en 2017. Le titre du papier est assez révélateur : “Frères, beau-frère, épouse de frangin, oncles, entre autres parents du Dg Djim Momath Ba, entretenus avec le biberon de l’Aprosi : pouponnière !”.
Interpellé sur la question, le Directeur général, fortement contrarié, les yeux hagards, botte en touche. Toutefois, quand nous avons commencé à citer les noms de Yapsa Diop, Bousso Wilane, Cheikh Ba, il perd le verbe avant de reconnaitre qu’ils ne sont pas nombreux et que “Yapsa Diop n’est plus là”.
Ses parents qui n’ont pas pu bénéficier de contrat de travail, bénéficient de marchés de petits et moyens calibres, dans la limite exigée par les procédures d’entente directe. Des marchés de gré à gré qui sont directement traités avec les chinois pour éviter toutes traces dans la comptabilité de l’APROSI.
Keur Mandongo, une bourgade nichée dans l’arrondissement de Wack Ngouna, département Nioro est bien servi. Le maire Modou Diaw est directeur de l’entreprise 7 Golden. Il est attributaire, dans des conditions opaques, du marché relatif à la construction d’une partie du mur de clôture. Il fait partie des sous-traitants du consortium chinois dans la Plateforme Industrielle Intégrée de Diamniadio (P2ID). Pour ce cas de gré à gré, le DG, Momath Ba a reconnu tout en précisant que son ami a les compétences et les capacités techniques d’exécuter le marché qui lui a été confié.
Son fils et sa belle famille s’accaparent du “biberon APROSI”?
Un cas qui a beaucoup retardé nos investigations, c’est l’implication de son fils dans les marchés de gré à gré. Abdou Ndéné Ba, homonyme est l’ancien secrétaire d’État aux réseaux ferroviaires et Directeur général de la SENTER, Abdou Ndéné Sall. La difficulté réside du fait que des stratagèmes sont utilisés pour camoufler les contrats de son fils aîné. Notre source anonyme est confirmée par des agents de l’APROSI.
Abdou Ndéné Ba aurait bénéficié aussi d’une partie du mur de clôture, de la construction de la station de traitement des eaux usées et du terrain de football. Jusqu’ici, la station de traitement des eaux usées est à l’état de projet. Il est loin d’être bouclé alors que la P2ID est déjà fonctionnelle et qu’elle devait se faire en premier. C’est valable aussi pour les marchés concernant l’aménagement paysager et le terrain de football qui n’est pas encore réalisé. Ces quatre marchés qui peinent à être exécutés seraient sous-traités à son fils ou à des proches.
Nos tentatives pour mettre la main sur les documents (contrats, pv de réception, copie chèque) sont restées vaines. Le Dg et son neveu, dans leurs manœuvres pour brouiller toute piste, mettent tous ces sous-traitants dans le portefeuille de leurs partenaires chinois. Même des membres de sa belle famille (l’épouse de son fils, fille d’un ancien international sénégalais et aujourd’hui homme d’affaires) bénéficient du “biberon” de l’APROSI.
M. Momath Ba est dans la dénégation pour ces cas aussi. Il récuse les accusations portant sur des marchés attribués à son fils. Sur le marché de l’aménagement paysager qui serait attribué à son fils, il est resté évasif. Avant de balancer vaguement : un certain Diallo et Mada. La station de traitement des eaux usées a suscité aussi des curiosités. “Elle est en cours de réalisation”, s’est-il défendu. Sur ce, “il faut signaler que le projet a été inauguré le 05 décembre 2023, alors que la station de traitement des eaux usées était en cours de construction. Elle fait partie intégrante du contrat avec un montant forfaitaire et un avenant en cours”, a déclaré le directeur général de l’APROSI.
Momath Ba indéboulonnable malgré la ribambelle de scandales
A la question de savoir qui protège M. Ba? Pourquoi votre longévité à ce poste alors que vous êtes cité dans beaucoup de scandales ? Le maire de Nioro s’accroche à son moyen de défense favori. “Personne. Je n’ai rien fait. J’ai développé l’APROSI. Il n’y avait rien et l’entreprise était en faillite quand j’arrivais à la tête. Pour mon ministre de tutelle, nous avions même quelques bisbilles”, témoigne-t-il.
Depuis sa nomination, l’APROSI est souvent épinglée et son directeur général, cité des scandales. Le dernier en date éclabousse son neveu, Cheikh Ba. L’électricien en chef de la boite a été jugé et condamné le 7 août passé par le Tribunal des flagrants délits en compagnie de Doudou Diédhiou, chef de la sécurité de Sewacard. Ils ont été arrêtés le 19 juillet dernier par la Brigade de Gendarmerie installée à la plateforme industrielle de Diamniadio pour vol dans les locaux de l’usine Sewacard un conteneur groupe électrogène de 500 kVA d’une valeur de 200 millions FCFA qu’il a revendu à 15 millions.
Sans peine, il a reconnu l’implication de Cheikh Ba et assure qu’il a été licencié suite à ce vol.
La minuterie de “la Bombe DID” activée
Le successeur de l’actuel DG aura du pain sur la planche. Dans les premiers mois, il risque d’être très occupé à éteindre des feux. Momath Ba est trempé dans une affaire d’escroquerie. Il est poursuivi par Jamal Hassan de « Pôle industrie privé» qui lui réclame 1 milliard de FCFA. En effet, M. Ba a été cité devant le tribunal correctionnel de Dakar pour escroquerie. Sous prétexte que son prédécesseur a « bazardé » des terrains, Momath Ba a revendu les mêmes lots, dont les ventes ont été actées devant notaires. Un litige qu’il a finalement réglé à l’amiable avec le remboursement du montant dû. Sur les états du notaire que nous avons consultés, les différents montants reversés y figurent.
Cette affaire qui concerne le Domaine Industriel de Diamniadio (DID) ne serait que l’arbre qui cache la forêt. “Au DID, on ne parle pas de doublons, même de triplons” et autres. Un terrain vendu à plusieurs personnes”, confessent deux agents. Cette boulimie du Directeur général et certains membres du Top management les a poussé à remblayer un lac ou déversoir d’eau de pluie (genre zone de captage) malgré des avis techniques défavorables de services de l’État habilités et même du Secrétaire général. Le président des Architectes que nous avons interrogés a d’ailleurs alerté sur les conséquences futures de cet acte qui va plonger une bonne partie des occupants dans un désastre écologique.
Nguinth, une petite localité qui jouxte la plateforme industrielle. Elle constitue un bon fromage pour une partie du top management. Les habitants se sont organisés en collectif pour dénoncer la “spoliation” de leurs terres par le DG de l’APROSI. Ils l’accusent avec le soutien de la DSCOS d’avoir détruit les bornes de leurs lotissements avant de prendre possession de leurs terres. Sadio Bodian, un habitant de Nguinth dénonce : « On a été surpris lundi par les gendarmes de la DSCOS et les agents de la sous-préfecture. Ils sont venus démolir les bornes qu’on avait installées sur nos terrains. Ils ne nous ont montré aucun ordre de mission ». Le collectif soutient aussi être en possession de documents qui justifient leur propriété sur le site en question par acte de délibération numéro 13 du 17 janvier 2018, approuvé par le conseil municipal de Diamniadio, rapporte Le Témoin.
Momath Ba ne s’est pas limité cette fois à des dénégations. Il est allé à son bureau sortir des documents domaniaux pour justifier que le site est une propriété de l’APROSI. Sauf qu’il s’est contredit en indiquant que “toutes les impenses ont été réglées et qu’ils ne doivent rien à personne sur ce site”.
Une maison de villégiature à 100 millions à Ngaparou
Drapée d’un grand-boubou “basin palmane”, une femme d’âge mur à la stature imposante attendait au secrétariat notre sortie. Elle, c’est l’un des grands manitous de ce cartel. Son nom, Adja Fatou Samb, Mme Gningue. Elle est l’acolyte et l’homme de confiance de M. Ba.
Elle est arrivée à l’APROSI par le piston de sa sœur, Bineta qui était au département de l’industrie. Adja Fatou Samb n’est pas comptable mais son nom est partout, elle a accès à tout et travaille directement avec le cabinet SCP Amadou M. Ndiaye, Aida D. Diagne et Mahamadou M. Diallo sur la question du foncier et des mouvements de fonds entre le notaire et l’APROSI.
Des sources sont formelles. Elle est si liquide qu’elle s’est payée une maison à Ngaparou d’un coût de 100 millions de nos francs. Cette villa lui a été vendue par son amie de longue date Mame Diarra Bousso Ndao dont le mari est propriétaire d’une agence immobilière à Saly. D’autres sources à l’intérieur lui attribuent d’un immeuble non loin de l’usine Sédima située à Keur Massar.
La comptabilité de l’APROSI, un serpent à plusieurs têtes
L’Agence de promotion des sites industriels est une entreprise publique qui a des comptabilités qui sont hors agence. Les chinois qui sont venus au Sénégal pour exécuter un “marché par entente directe (clé en main) relatif aux travaux de construction et d’aménagement de la Plateforme Industrielle Intégrée de Diamniadio Phase 2” ont la superpuissance d’engager des sous-traitants, de superviser les travaux, de réceptionner et de payer des entreprises sénégalaises.
A l’occasion de l’inauguration de la P2ID, des employés ont été surpris d’entendre le directeur général mettre en rapport des chefs d’entreprise avec les chinois pour le règlement de leurs factures. C’est ce qui explique toute la documentation liée aux contrats de certains membres de sa famille sont introuvables dans le circuit administratif de l’APROSI. Or, dans le contrat qui lie l’APROSI au consortium chinois, il n’est prévu nulle part cette option de se substituer au maître d’ouvrage délégué. Cette comptabilité chez les chinois est une violation flagrante des règles de gestion administrative sénégalaise.
Après la diffusion du premier jet de l’enquête, des informations supplémentaires nous sont parvenues via divers canaux qui sont notamment à l’intérieur de l’APROSI comme à l’extérieur. C’est ainsi qu’ils nous ont confié que le pseudo du ressortissant chinois qui sert de trait d’union entre le consortium, le directeur général et le ministre de l’Industrie d’alors. ”Le chinois porteur de valises auprès du ministre et chargé de distribuer aux autres cadres se nomme Antoine (nom d’emprunt Français)” le message envoyé par un membre de la direction révulsé par les pratiques du DG. Notre source qui n’a pas souhaité garder l’anonymat précise que “Antoine est présenté comme un interprète. Mais, dans l’équipe chinoise, personne ne peut vous dire véritablement son rôle”. Il nous a été soufflé aussi qu’une mission d’audit sollicitée par Exim Bank Chine a été désignée pour ausculter l’exécution du contrat.
La grosse timbale revient au cabinet SCP Amadou M. Ndiaye, Aida D. Diagne et Mahamadou M. Diallo. Il gère un portefeuille de plus de cinq milliards tirés des recouvrements de la vente des terrains et autres produits de l’APROSI. Le cabinet travaille directement avec les deux directeurs d’exploitation (DID, Adja Fatou Samb) et (P2ID, Abiboulaye Samb). Ces derniers ont le pouvoir de facturer et de faire des recouvrements sur leur site respectif. Ce qui constitue une grave entorse aux règles de bonne gouvernance. Ils sont même impliqués dans les cafouillages sur le foncier. Me Tamsir Ndiaye nous signale d’ailleurs que leur cabinet n’est impliqué qu’à auteur de 50% des transactions de l’APROSI sur la question des terres.
Ce cabinet de notaire a géré deux comptes qui ont connu d’importants mouvements de fonds. Il s’agit du “lotissement de la phase 1”. C’est un compte n°19444 ouvert du 25 avril 2012 au 17 mars 2022. En recettes, on note 1 123 411 595 FCFA alors qu’en dépense, il est mentionné 1 122 756 569 soit un solde de 655.027 FCFA.
Pour la phase 2, la comptabilité est établie du 8 mai 2019 au 17 mai 2022. En recettes, il est indiqué que 4 338 547 615 FCFA sont enregistrés alors que les dépenses s’élèvent 4 360 715 862 de nos francs, soit un solde de 22 168 247.
Si des sources récusent le règlement de ces impenses, nous avons pu, par contre, dans les états financiers du notaire, retrouver plus de 86 dossiers d’impenses traités. En réalité, les termes changent selon la personne. Tantôt, c’est remboursement, tantôt indemnisation ou règlement d’impenses.
Dans la foulée, le notaire Tamsir Ndiaye qui est gestionnaire du portefeuille APROSI au cabinet SCP Amadou M. Ndiaye, Aida D. Diagne et Mahamadou M. Diallo a témoigné que « les chèques ont été établis et remis à l’APROSI pour distribution sur la base d’un procès-verbal contresigné par le préfet du département de Rufisque.
Le service comptable dans des crises perpétuelles, la tête de l’ACP mise à prix
Au-delà de ces deux comptabilités (chinois et notaires), des crises d’une rare violence ont perturbé le fonctionnement du service comptable de l’APROSI avec des amalgames dignes d’un stagiaire. L’agent comptable particulier (ACP) aurait fait un rapport sur les anomalies notées dans ce service.
Malgré ces graves manquements, “ABS Cabinet” aurait certifié les comptes. Document que nous avons cherché à obtenir. Sans succès. Nos tentatives d’entrer en contact avec elle ont été vaines. Il n’a réagi ni aux appels ni aux sms. Et pourtant toutes les sources s’accordent à dire qu’elle a farouchement tenu tête au directeur général. D’ailleurs, Momath Ba avait fait son départ une question d’honneur. Il aurait même activé ses liens de parenté avec l’ancien ministre des Finances, Moustapha Ba, mais surtout sa complicité patibulaire avec le directeur du secteur parapublic, patron des ACP pour obtenir la tête de Tabaski Ngom.
Mme Peunde Diop, agent en service chez l’ordonnateur, travaillait étroitement avec le cabinet d’audit et d’expertise comptable “ABS”. La dame est partie à la retraite depuis février 2023. Mais, elle a été retenue avec à la clé un contrat mirobolant. Le DG l’a maintenue en poste avec un contrat spécial. Son salaire est passé du simple au double, de 1 million 200 mille francs à plus de 2 millions. M. Ba a, selon des sources proches de l’administration, a demandé que “les droits à la retraite de Peunde Diop soient calculés sur la base du contrat spécial” une décision qui a créé un tollé et des frictions parce que les droits à la retraite de la dame sont calculés à partir de sa durée légale liée à sa prise de fonction ou d’entrée en service à l’APROSI.