C’est le même refrain tous les ans : ça coûte cher, un mouton. Mais, tous les ans, même si elles leur trouent les poches, les Sénégalais s’arrangent pour trouver des cornes pour la Tabaski.
C’est le même refrain tous les ans : ça coûte cher, un mouton. Mais, tous les ans, même si elles leur trouent les poches, les Sénégalais s’arrangent pour trouver des cornes pour la Tabaski.
Par Moussa SECK – Il est officiellement serveur dans l’un des restaurants qui longent l’avenue Bourguiba. Mais, ce soir, El Hadj Pape Konté est son propre patron. En parallèle du service au resto et sur toute l’année, il élève jusqu’à dix moutons pour préparer son opération Tabaski. A l’approche de la fête, Papi lève çà et là des fonds pour remplir sa tente. Le voilà sur la même avenue avec des dizaines de têtes. Jusqu’à 800 mille F Cfa, la tête. Des clients viennent, et ce n’est pas tout le monde qui trouve satisfaction, malgré la fourchette élargie de Papi. C’est cher, reconnaît celui qui, depuis dix ans aujourd’hui, fait dans les opérations Tabaski. Remède à cette cherté qui devient refrain à chaque Tabaski dans la bouche de plus d’un ? Oser l’agriculture, propose El Hadj Pape Konté. Une abondance au niveau des champs impacte sur la nourriture des bêtes et, par conséquent, sur leur prix. L’homme en rasta parle en outre de «travailler le sang» des moutons du Sénégal. Travailler le sang : se lancer dans le croisement entre races sénégalaises et d’autres d’autres pays. Le rasta d’expliquer d’abord que les moutons ordinaires sénégalais prennent du temps à se développer entre les mains des éleveurs du nombre desquels il est : plus de temps d’entretien, plus de dépenses. Qui met en exergue, ensuite, que le croisement avec d’autres races qui se développent plus vite réduit le temps d’entretien pour avoir une bonne pesée : moins de temps d’entretien, moins de dépenses. Enfin, pour aller vers cette diminution des prix tant souhaitée, suggère le Hadj, l’Etat doit mettre la main au foin : faciliter la venue en masse des autres races d’ailleurs à croiser avec celles d’ici. C’est cher ? Réponse du serveur-éleveur : on ne peut pas vendre pour le prix de 150 mille F Cfa une bête achetée 50 mille F Cfa voire 55 mille F Cfa, entretenue sur onze mois, avec une consommation alimentaire quotidienne minimale de 1500 F Cfa, sans oublier vaccination et autres…
En attendant le rush de la dernière heure
C’est cher, le refrain. Mais on achète, le contre-refrain. A quelques klaxons de Papi, toujours sur Bourguiba, Assane Dione marchande avec un client. Nul ne convainc l’autre, le client tablant sur 230 000 F Cfa, M. Dione disant, à son départ, que le mouton objet du marchandage ne saurait coûter moins de 250 mille F Cfa. L’an passé d’ailleurs et selon toujours Assane Dione, le prix avait été bloqué à 300 mille F Cfa. «C’est un ladoum», dit-il, et ceci expliquant cela. Assane n’est pas le gérant principal de la tente. Cheikh Athie surveille les opérations, et c’est lui le njaatigé du jeune homme. C’est cher mais on achète : la preuve, M. Athie souligne que la majeure partie des sujets devant lui ont déjà trouvé preneur, qui n’attendent qu’à être définitivement pris. Et les gens continuent de venir, de marchander, d’acheter ou de rentrer sans se procurer cornes et cordes. Ils viennent, n’affluent pas, mais ça n’inquiète pas M. Athie. Le Sénégalais a, se rassure-t-il, l’habitude du rush des dernières heures.
Aujourd’hui alors le rush, ou demain. Avant cela, il espère vider toute la tente de ses moutons qui sont issus de l’élevage domestique. Ainsi pourra-t-il aller s’approvisionner au niveau du Stade de l’amitié, de ces moutons venus de l’intérieur du pays et qui ne coûtent pas un bras au Sénégalais lambda. Ceux de 130 mille F Cfa, 150 mille F Cfa…
Ce type de mouton ne court pas les rues. Du moins, pas dans cette zone du Bourguiba et ses alentours. Le manque d’espace, selon Cheikh Athie, y est pour beaucoup. En attendant de se débarrasser des têtes domestiques et d’engager celles rustiques, Assane continue d’aider Cheikh dans le lavage des moutons. Ils ont des robes blanches avec de discrètes tâches. Ils ont des colliers à couleur unique pour la plupart. Certains portent la trace d’une eau qui leur a offert plus de beauté. Ils s’entretiennent. 100 F Cfa, la bouteille d’eau achetée dans les maisons autour. Une bonne quantité tous les jours. Des dépenses de plus. Qui vont probablement être répercutées sur le prix…