Les relations contractuelles entre l’Etat hôte et l’investisseur privé étranger connait des évolutions liées au cadre juridique applicable, aux conditions du marché ou aux changements politiques. Au Sénégal, plusieurs générations de codes miniers (1988, 2003, 2016) ou pétroliers (1998, 2019) se sont succédées au fil du temps. Ces législations sont marquées par l’attractivité des investissements, la valorisation du secteur, la sécurisation des intérêts économiques de l’Etat, la participation du secteur privé national et la participation de l’Etat. Les contrats extractifs conclus contiennent des clauses de stabilisation figeant la règlementation de l’Etat pendant une certaine période. Ce qui fait coexister des régimes juridiques différents et provoquer des difficultés de recouvrement pour l’administration fiscale et des pertes de recettes pour l’Etat. En Afrique certains pays ont procédé à la renégociation des contrats extractifs afin de mieux sécuriser leurs intérêts économiques et d’assurer une meilleure répartition équitable de la rente au bénéfice des citoyens. Au Sénégal, l’article 25-1 de la Constitution prévoit la propriété des ressources au peuple et l’article 5 du Code pétrolier de 2019 dispose que la gestion des revenus pétroliers garantit une épargne intergénérationnelle et répond au besoin de développement économique. Le Président de la République du Sénégal a réaffirmé la volonté non équivoque de l’Etat de renégocier les contrats pétroliers lors d’un entretien avec la presse le 13 juillet 2024. Cette option stratégique du pays annoncée devra s’inscrire dans un cadre juridique, contractuel et fiscal approprié. Ainsi la renégociation des contrats pétroliers peut être qualifiée de bonne foi (I) ou de mauvaise foi (II).
- La renégociation de bonne foiEn principe, les contrats extractifs doivent être exécutés de bonne foi par les parties (Pacta sunt servanda). Les contrats peuvent prévoir des clauses de renégociation (A). Les parties au contrat peuvent également décider de renégocier les termes contractuels même en l’absence de clause de renégociation (B).
- L’existence d’une clause de renégociation
Il peut s’agir des clauses de révision des prix comme dans les contrats gaziers ou une clause soulignant la renégociation en cas de variation des conditions économiques du contrat. Dans cette hypothèse la renégociation va de soi et ne soulève aucune difficulté majeure. Le contrat peut aussi contenir une clause de changement fondamental de circonstances ou de flexibilité qui amène les parties à renégocier pour rééquilibrer les contrats. Dans le secteur minier ou pétrolier, il est tout à fait loisible pour l’Etat de revoir les termes du contrat si le prix du baril du pétrole ou du minerai augmente afin de rétablir l’équilibre économique initial du contrat. Les contrats pétroliers sénégalais ne semblent pas prévoir de clause de renégociation.
- L’absence de clause de renégociation
En l’absence de clause expresse, l’Etat hôte ou l’investisseur privé peut demander la renégociation en invoquant une circonstance exceptionnelle ou un cas de force majeure ayant entrainer un déséquilibre de l’économie du contrat. Dans ce cas de figure, les parties peuvent renégocier de bonne foi pour rétablir l’équilibre économique du contrat recherché. Il convient de rappeler que la force majeure est définie dans les contrats pétroliers comme « tout évènement imprévisible, irrésistible et indépendant de la volonté de la partie qui l’invoque tels que tremblement de terre, guerre, émeute, insurrection, troubles civiles, sabotage, faits de guerre ou conditions imputables à la guerre » (Cf. art. 31 du modèle de Contrat). En l’espèce, les autorités ne sauraient invoquer ces faits bien qu’une alternance politique ne soit intervenue. D’autres pays, les changements de gouvernement ont favorisé le déclenchement de la renégociation des contrats.
- La renégociation de mauvaise foiGénéralement c’est lorsque l’Etat décide d’imposer des mesures unilatérales (application d’un nouveau code ou modification des règles d’imposition) sans le consentement de l’investisseur. Si l’Etat invoque des arguments de contrats mal négociés, déséquilibrés ou de changements de conditions économiques, l’investisseur peut brandir la clause de stabilisation (A) et le risque du contentieux du contentieux arbitral (B) devient éminent.
- L’activation de la clause stabilisation
Les contrats pétroliers sénégalais contiennent des clauses de stabilisation visant à protéger l’investisseur privé contre les aléas législatifs et fiscaux (Cf. art. 33 du modèle de contrat). En plus, l’article 72 du Code pétrolier de 2019 prévoit que « le contrat pétrolier peut inclure une clause de stabilisation du contexte législatif et règlementaire… ». Cette clause de gel du droit de l’Etat hôte est une soupape de sécurité pour l’investisseur car la jurisprudence arbitrale a souligné que la stabilité juridique du cadre de l’investissement est une condition essentielle du traitement juste et équitable.
Toute tentative d’appliquer une nouvelle disposition législative ou fiscale, sous réserve du consentement des parties, antérieure aux contrats se heurterait à l’obstacle de la clause de stabilisation. Toute renégociation forcée peut mener à un comportement illicite de la part de l’Etat et s’apparenter à de l’expropriation.
- Le risque du contentieux arbitral
Tout différend né de l’exécution des contrats pétroliers, en plus de l’approche amiable, sera vidé par voie arbitrale. Il est établi que l’arbitrage coûte cher à l’Etat en termes de frais de procédures et de condamnation pécuniaire avec des montants astronomiques. Le règlement arbitral CIRDI est prévu par les contrats pétroliers (art. 32 du CRPP). Les procédures arbitrables sont longues et ne garantissent pas la transparence en raison de la confidentialité. A ce niveau, en cas de contentieux, l’Etat devra gérer les attentes du public sur la question de la renégociation en indiquant de manière claire les positions et les dispositions à défendre bien que le pays ait déjà l’expérience du contentieux arbitral (Kumba Resources ; Arcelor Mittal).
Conclusion
La renégociation des contrats pétroliers reste possible si elle s’effectue d’un commun accord ou si l’Etat estime que les contrats contiennent des clauses manifestement ou objectivement inéquitables ou déséquilibrées. L’Etat peut légitimement invoquer des arguments découlant de la pratique contractuelle (définition des risques, programme de travail, partage du profit, obligations de contenu local, etc.). Mais la démarche doit reposer sur la bonne foi comme l’a rappelé la sentence arbitrale « Aminoil », c’est-à-dire, le maintien des négociations, la connaissance des intérêts de l’autre partie et la quête d’un compromis acceptable. Il y a va de la réputation du pays vis-à-vis des investisseurs.
La renégociation des contrats pétroliers au Sénégal
Les relations contractuelles entre l’Etat hôte et l’investisseur privé étranger connait des évolutions liées au cadre juridique applicable, aux conditions du marché ou aux changements politiques. Au Sénégal, plusieurs générations de codes miniers (1988, 2003, 2016) ou pétroliers (1998, 2019) se sont succédées au fil du temps. Ces législations sont marquées par l’attractivité des investissements, la valorisation du secteur, la sécurisation des intérêts économiques de l’Etat, la participation du secteur privé national et la participation de l’Etat. Les contrats extractifs conclus contiennent des clauses de stabilisation figeant la règlementation de l’Etat pendant une certaine période. Ce qui fait coexister des régimes juridiques différents et provoquer des difficultés de recouvrement pour l’administration fiscale et des pertes de recettes pour l’Etat. En Afrique certains pays ont procédé à la renégociation des contrats extractifs afin de mieux sécuriser leurs intérêts économiques et d’assurer une meilleure répartition équitable de la rente au bénéfice des citoyens. Au Sénégal, l’article 25-1 de la Constitution prévoit la propriété des ressources au peuple et l’article 5 du Code pétrolier de 2019 dispose que la gestion des revenus pétroliers garantit une épargne intergénérationnelle et répond au besoin de développement économique. Le Président de la République du Sénégal a réaffirmé la volonté non équivoque de l’Etat de renégocier les contrats pétroliers lors d’un entretien avec la presse le 13 juillet 2024. Cette option stratégique du pays annoncée devra s’inscrire dans un cadre juridique, contractuel et fiscal approprié. Ainsi la renégociation des contrats pétroliers peut être qualifiée de bonne foi (I) ou de mauvaise foi (II).
- La renégociation de bonne foi
En principe, les contrats extractifs doivent être exécutés de bonne foi par les parties (Pacta sunt servanda). Les contrats peuvent prévoir des clauses de renégociation (A). Les parties au contrat peuvent également décider de renégocier les termes contractuels même en l’absence de clause de renégociation (B).
- L’existence d’une clause de renégociation
Il peut s’agir des clauses de révision des prix comme dans les contrats gaziers ou une clause soulignant la renégociation en cas de variation des conditions économiques du contrat. Dans cette hypothèse la renégociation va de soi et ne soulève aucune difficulté majeure. Le contrat peut aussi contenir une clause de changement fondamental de circonstances ou de flexibilité qui amène les parties à renégocier pour rééquilibrer les contrats. Dans le secteur minier ou pétrolier, il est tout à fait loisible pour l’Etat de revoir les termes du contrat si le prix du baril du pétrole ou du minerai augmente afin de rétablir l’équilibre économique initial du contrat. Les contrats pétroliers sénégalais ne semblent pas prévoir de clause de renégociation.
- L’absence de clause de renégociation
En l’absence de clause expresse, l’Etat hôte ou l’investisseur privé peut demander la renégociation en invoquant une circonstance exceptionnelle ou un cas de force majeure ayant entrainer un déséquilibre de l’économie du contrat. Dans ce cas de figure, les parties peuvent renégocier de bonne foi pour rétablir l’équilibre économique du contrat recherché. Il convient de rappeler que la force majeure est définie dans les contrats pétroliers comme « tout évènement imprévisible, irrésistible et indépendant de la volonté de la partie qui l’invoque tels que tremblement de terre, guerre, émeute, insurrection, troubles civiles, sabotage, faits de guerre ou conditions imputables à la guerre » (Cf. art. 31 du modèle de Contrat). En l’espèce, les autorités ne sauraient invoquer ces faits bien qu’une alternance politique ne soit intervenue. D’autres pays, les changements de gouvernement ont favorisé le déclenchement de la renégociation des contrats.
- La renégociation de mauvaise foi
Généralement c’est lorsque l’Etat décide d’imposer des mesures unilatérales (application d’un nouveau code ou modification des règles d’imposition) sans le consentement de l’investisseur. Si l’Etat invoque des arguments de contrats mal négociés, déséquilibrés ou de changements de conditions économiques, l’investisseur peut brandir la clause de stabilisation (A) et le risque du contentieux du contentieux arbitral (B) devient éminent.
- L’activation de la clause stabilisation
Les contrats pétroliers sénégalais contiennent des clauses de stabilisation visant à protéger l’investisseur privé contre les aléas législatifs et fiscaux (Cf. art. 33 du modèle de contrat). En plus, l’article 72 du Code pétrolier de 2019 prévoit que « le contrat pétrolier peut inclure une clause de stabilisation du contexte législatif et règlementaire… ». Cette clause de gel du droit de l’Etat hôte est une soupape de sécurité pour l’investisseur car la jurisprudence arbitrale a souligné que la stabilité juridique du cadre de l’investissement est une condition essentielle du traitement juste et équitable.
Toute tentative d’appliquer une nouvelle disposition législative ou fiscale, sous réserve du consentement des parties, antérieure aux contrats se heurterait à l’obstacle de la clause de stabilisation. Toute renégociation forcée peut mener à un comportement illicite de la part de l’Etat et s’apparenter à de l’expropriation.
- Le risque du contentieux arbitral
Tout différend né de l’exécution des contrats pétroliers, en plus de l’approche amiable, sera vidé par voie arbitrale. Il est établi que l’arbitrage coûte cher à l’Etat en termes de frais de procédures et de condamnation pécuniaire avec des montants astronomiques. Le règlement arbitral CIRDI est prévu par les contrats pétroliers (art. 32 du CRPP). Les procédures arbitrables sont longues et ne garantissent pas la transparence en raison de la confidentialité. A ce niveau, en cas de contentieux, l’Etat devra gérer les attentes du public sur la question de la renégociation en indiquant de manière claire les positions et les dispositions à défendre bien que le pays ait déjà l’expérience du contentieux arbitral (Kumba Resources ; Arcelor Mittal).
Conclusion
La renégociation des contrats pétroliers reste possible si elle s’effectue d’un commun accord ou si l’Etat estime que les contrats contiennent des clauses manifestement ou objectivement inéquitables ou déséquilibrées. L’Etat peut légitimement invoquer des arguments découlant de la pratique contractuelle (définition des risques, programme de travail, partage du profit, obligations de contenu local, etc.). Mais la démarche doit reposer sur la bonne foi comme l’a rappelé la sentence arbitrale « Aminoil », c’est-à-dire, le maintien des négociations, la connaissance des intérêts de l’autre partie et la quête d’un compromis acceptable. Il y a va de la réputation du pays vis-à-vis des investisseurs.
Tout compte de fait, la renégociation nécessite des compétences spécifiques en droit, en géologie, en économie, en modélisation financière pour évaluer les impacts des différents projets sur le plan fiscal. Les outils essentiels à la disposition de l’Etat sont notamment le modèle de contrat et la société nationale.
Avant d’aller en renégociation, l’Etat devra s’assurer que les instruments juridiques en vigueur sont adaptés au contexte national et international et que le modèle de contrat offre toutes les garanties de clauses négociables (part de l’Etat, coûts recouvrables, commercialisation de la production, prix…).
Par Dr Moustapha Fall
Enseignant-chercheur
Maitre de conférences en droit public à la FSJP (UCAD)