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Les nouveaux défis économiques de la presse, soulevés par l’écosystème numérique

 

L’Afrique présente un potentiel de développement important dans le domaine du numérique. On y dénombre plus 500 millions d’utilisateurs de smartphone en 2020 1 , démontrant ainsi la généralisation de la technologie avec la 4G et bientôt la 5G. Il sera amené à rattraper une partie de son retard par rapport aux pays émergents et développés en termes de valeur ajoutée réalisée par les Technologies de l’Information et des Communications (TIC).
C’est fort de ce constat que Sénégal a opté pour une vision à long terme à travers la stratégie « Sénégal numérique 2025 » afin de décliner son ambition de pays leader dans ce secteur à fort impact économique et social. L’objectif de cette stratégie est de porter la contribution du numérique à hauteur de 10% du PIB, avec la perspective de créer plus de 35 000 emplois directs à l’horizon 2025.

Toutes fois, Les effets du numérique touchent pratiquement tous les secteurs d’activités au point où certains spécialistes parlent de la numérisation de l’économie. Ce qui pousse les entreprises à se réinventer ou à s’adapter, à cette nouvelle situation, qui change totalement la forme classique de production de valeur.

Cependant, l’émergence de nouveaux acteurs puissants, provoque des bouleversements dans l’économie numérique avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazone) et constitue une sérieuse menace pour la viabilité des entreprises de presse. La puissance financière de ces géants du numérique qui leur permet d’éliminer toute forme de concurrence, les poussent souvent à vouloir abuser de leur position dominante en imposant leur volonté aux différents acteurs parmi lesquels les éditeurs de presse qui assistent impuissamment à l’utilisation massive de leurs produits sans aucune contrepartie financière.

1- De quoi s’agit-il ?

Les nouveaux modèles d’affaires marqués par de puissants effets de réseau avec une exploitation des méandres du BIG DATA, modifient notre structure sociale et soumet à rude épreuve notre réglementation. On se retrouve donc, dans la situation ou des géants comme Google Instagram, Tic toc ou Facebook…, plateformes d’échanges et de recherche très usité par les internautes, mettent souvent en ligne sans aucune rétribution, les contenus produits par les éditeurs de presse. D’ailleurs, on les reproche même d’avoir asphyxié le secteur de la presse. Or, selon l’article 27 alinéa 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, « chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ». Sous ce rapport on peut affirmer que les articles rédigés par les journalistes « œuvre de l’esprit » peuvent être considérés comme des créations protégeables sous réserve de leur originalité, et les publications de presse comme des « droits voisins », conformément à la loi 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins.

2- Quel est la source du problème ?

Il s’agit de l’utilisation abusive des publications des éditeurs de presse dans les moteurs de recherche et les plateformes à effet de réseau par les GAFA. On est en présence d’une matière relative aux droits voisins. Ce qui nous conduit à voir les observations suivantes :
La loi 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal n’a pas prévu de façon spécifique la protection des publications de presse dans le cadre de leur utilisation en ligne. En effet, l’article 102 alinéa 2 paragraphe (a) ne fait pas allusion spécifiquement aux services fournis à travers la société d’information. Le numérique est par excellence le domaine de la créativité et de l’innovation ce qui rend très difficile son contrôle par la loi. Aussi, il est important de souligner que dans ce contexte, il n’est pas aisé de légiférer.

Cependant, le fait de ne pas mentionner expressément cette disposition à travers la loi de 2008, ne semble pas priver les autorités et les intéressés de la possibilité de se prévaloir de son application au regard de l’alinéa 1 de l’article précité. En effet, cette disposition évoque la protection des droits patrimoniaux de l’édition par la communication, la reproduction et la distribution de l’édition au public par « tout procédé ». Ce terme semble englober à notre sens les publications réalisées sur tous les supports de diffusion sans distinction car ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus, c’est à dire quand la loi ne distingue pas, nous non plus ne devons distinguer. Donc, les éditeurs de presse peuvent valablement et juridiquement se baser sur ce principe pour réclamer des droits aux GAFA.

3- Comment faire pour bénéficier des retombées des droits voisins ?

Afin de pouvoir saisir effectivement les enjeux stratégiques de cette mutation technologique, il nous semble opportun, de prendre les mesures adéquates, pour permettre aux entreprises de presse de remplir leur mission de service public tout en étant viable économiquement. A cet effet, il est important de :

• Procéder à l’actualisation du cadre législatif et réglementaire
Ce processus passe d’abord, par une deuxième révisons de l’Accord de Bangui du 02 mars 1977
instituant une organisation africaine de la propriété intellectuelle ce qui va entrainer une application uniforme de la norme ayant vocation à produire ses effets mutatis mutandis. Dans ce contexte, une initiative individuelle au détriment du collectif serait suicidaire et certainement vouée à l’échec car les GAFA détiennent une puissance économique et financière leur permettant d’imposer leur volonté à un seul État pris isolément. Ensuite, les différents pays pourront adaptés leurs législations nationales en intégrant les publications de presse par des fournisseurs de services de la société de l’information dans le champ d’application des droits voisins protégeables ;
• Définir un large consensus sur la rémunération de ses droits
Les différents acteurs de la presse Éditeurs, journalistes et syndicats doivent conjuguer leurs
efforts pour atteindre le même objectif de rémunération des droits voisins à titre principal et une rétribution des droits d’auteurs des journalistes à titre subsidiaire ;
• Bénéficier du soutien des organismes de régulations Au niveau communautaire :
– La Commission UEMOA sur la concurrence et les abus de position dominante.
A titre illustratif devant le refus de Google à faire droits aux revendications des éditeurs de Presse française2, l’Autorité de la Concurrence a eu à constater que les pratiques de ce dernier ont porté une atteinte grave et irrémédiable au secteur de la presse. C’est pourquoi elle a ordonné, par ailleurs, à Google de présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés aux éditeurs et agences de presse, sous peine de se voir infliger des astreintes pouvant atteindre 900 000 euros par jour de retard.
Au niveau national
– Ministères sectoriels
– ARTP
– Commission nationale de la concurrence
– CNRA
– Éditeurs de presse
– Syndicats

Mamadou Moustapha CAMARA
Juriste – Fiscaliste
moustapha_camara@hotmail.fr

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