C’est fini entre la Ville de Kinshasa et la société Albayrak, sa partenaire turque spécialisée dans le secteur de l’assainissement et la gestion des déchets. Le contrat de partenariat a été rompu et un procès-verbal de remise des matériels a même été signé la semaine dernière entre le gouvernement provincial et les responsables de la société Albayrak. Selon plusieurs sources au sein du cabinet du gouverneur contactées le week-end, Daniel Bumba a décidé de résilier le contrat signé le 8 février 2022 sous Gentiny Ngobila à cause de son caractère léonin et du refus des partenaires de négocier une nouvelle copie. Toutes les démarches menées pour apporter les corrections nécessaires se sont avérées infructueuses.
« Il s’agit d’un contrat léonin tant dans le fond que dans la forme. La ville de Kinshasa a sollicité un Avis de non objection -ANO- pour un contrat de délégation de service. Albayrak devait donc travailler en faisant payer le service par les producteurs de déchets et autres. Voici que la Loi ne permet pas à une société d’avoir à la fois un contrat de prestation de services et un contrat fournisseurs. Au lieu de signer un contrat de délégation de service tel que sollicité auprès de la Direction provinciale de contrôle des marchés publics, les parties avaient signé un contrat des travaux et fournitures à la fois, ce que la Loi sur les marchés publics n’autorise pas. C’est la première observation», explique une source proche du dossier.
La deuxième observation est que si le contrat devrait être résilié, c’est à la ville et la ville seule de payer les indemnités de sortie alors que Albayrak, elle, tout l’argent va dans les caisses de la société et pour son propre compte, alors qu’elle n’a rien amené comme apport à l’exception de ses 17 experts.
Troisième grief: « le contrat a été signé par une Commissaire générale, qui n’est pas ministre et donc pas compétente pour signer pareil accord». Quatrième remarque: Albayrak ne faisait que l’évacuation des déchets, mais elle facturait la ville -entre 500.000 dollars et 1.000.000 de dollars le mois, suivant les quantités évacuées- tout en utilisant les matériels achetés sur fonds propres de la Ville et réceptionnés au mois de mai 2024 par l’ancienne administration, soit des véhicules dont des camions poubelles à compression hydraulique, des camions bennes, des balayeuses de voirie, des engins de levage de voirie, des pelles excavatrices, des bulldozers, des chargeuses sur chenilles, des porte-citernes ainsi que plus de trois mille poubelles de rue de différentes dimensions. La Ville a demandé à Albayrak d’accepter de revenir dans les normes, elle a refusé de se plier à ces nouvelles conditions, affirme pour sa part un conseiller du gouverneur.
La société Albayrak désavouée, les autorités de la ville ne sont pas restées bras croisés. Elles ont immédiatement déployé les machines le week-end. Certaines ont été aperçues à Limete sur le boulevard Lumumba en train de curer la rivière Mososo et évacuer les déchets à la décharge sauvage de Kintambo, sous la supervision du gouverneur Daniel Bumba, pendant que des équipes du génie militaire faisaient pour la première fois leur entrées dans l’opération « Coup de poing ». Les déchets évacués ont été acheminés vers Ndjili Brasserie et d’autres vers Binza Delvaux.
Entre-temps, la Ville pourrait envisager une descente musclée avec le concours du gouvernement central de la justice militaire vers le Centre d’enfouissement de Mpasa, objet de spoliation par des militaires et policiers. Propriété de la Ville léguée par l’Union européenne, Mpasa a vu sa superficie réduite ces derniers mois de 220 hectares à 30 hectares à cause des morcellements sauvages et irréguliers.
Kinshasa produit environ 10.000 tonnes de déchets par jour, dont 40 % sont des plastiques jetés dans les rues, conséquence d’une gestion calamiteuse. La quantité de déchets produits par personne est d’environ 0,7 kg/jour. Le taux de collecte organisée est estimé à 25 %. Légalement, les communes -municipalités- sont tenues de collecter, transporter et éliminer les déchets, et de construire des installations de traitement, mais à Kinshasa, elles manquent des moyens financiers nécessaires pour faire face à cette problématique.
Des cadres légaux existent pour la gestion des déchets, comme l’édit 003/2013 du 9 septembre 2013 relatif à l’assainissement et à la protection de l’environnement, ainsi que de nombreux arrêtés du gouvernement provincial. L’ordonnance-loi n° 13/001 du 23 février 2013 fixe les impôts, droits, taxes et redevances des provinces et des entités territoriales décentralisées, et institue une taxe d’assainissement, d’enlèvement des déchets et ordures ménagères. La Politique nationale d’assainissement -PONA-, formulée en 2013, et une stratégie nationale d’assainissement préparée en 2017, bien que non encore appliquée, sont également en place pour guider ces efforts.