La constitution du Sénégal proclame dans son préambule l’inaltérabilité de la souveraineté nationale qui s’exprime à travers des élections transparentes et démocratiques. A cet effet, tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi (Article 3, alinéa 4 de la constitution).
Cependant, force est de constater que depuis la refonte partielle en 2016 du fichier électoral par le Gouvernement du Sénégal sur le fondement de motifs fallacieux, en falsifiant les conclusions du rapport de la mission d’audit du fichier électoral de 2010 (pages 7, 8, 9), être électeur et jouir de son droit de vote au Sénégal est jalonné d’obstacles, de plus en plus nombreux et difficiles à surmonter. En conséquence, l’exercice de la souveraineté est attribué à une minorité d’électeurs, contrairement à l’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution .
Dans les pays de démocratie établie, pour être électeur, soit on est versé automatiquement dans les listes électorales à la majorité, en général à 18 ans, soit il n’y a pas de périodes d’inscription, si bien qu’on peut s’inscrire à tout moment de l’année sur les listes électorales.
Au Sénégal, la loi qui détermine le droit d’être électeur est soit violée ou soit modifiée pour empêcher l’inscription massif de sénégalais sur les listes électorales. Ces modifications unilatérales du code électoral, sans concertation, ni consensus, avec les acteurs et organisations politiques de l’opposition, sont telles que le droit d’être électeur n’est plus garanti par la loi. Désormais, ce droit est dépendant de la volonté d’une seule personne : Le président du Sénégal, par ailleurs président de la coalition politique au pouvoir, homme politique partisan.
Ainsi, des révisions ordinaires des listes électorales ne s’organisent plus, plutôt des révisions exceptionnelles qui sont encadrés par un décret présidentiel, dont la durée est de plus en plus courtes. Celle en cours en vue de la présidentielle de 2024 se déroulera du 6 avril au 2 mai 2023 , soit 1 mois, au moment où, il y a environ deux millions d’électeurs potentiels à inscrire.
Pour rappel, à l’élection présidentielle de 2012, qui a permis au président actuel d’arriver au pouvoir, la révision exceptionnelle des listes électorales s’est déroulée sur une période de 8 mois, exactement du 3 janvier au 16 août 2011.
Cette révision 2023 de courte durée se déroule actuellement avec moult difficultés relayées par la presse nationale et les réseaux sociaux. Non seulement, il faut plusieurs heures d’attente, et parfois plusieurs allers et retours avant de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, etc…
En sus, de ces difficultés le portail en ligne qui permet de vérifier sa présence sur le fichier électoral et de consulter sa situation électorale afin de s’assurer de sa conformité avec sa carte d’électeur n’est plus fonctionnel. Toute tentative de consultation affiche le résultat suivant : « Aucun résultat ne correspond à votre recherche sur le fichier électoral. Réessayez, vérifier les informations saisies » (Dernière consultation le 11 avril 2023 à 13H42). En outre, le numéro vert 800-00-2017 du centre d’appel est désactivé.
Pour renforcer ce dispositif qui prive les Sénégalais d’informations sur leur situation électoral, le lien de connexion au portail en ligne qui se trouvait à la page d’accueil du site de la Direction Générale des Élections (DGE) a été supprimé. Ainsi, on ne peut plus accéder au portail via le site web de la DGE , désormais, on ne peut le consulter qu’en connaissant l’adresse : https://elections.sec.gouv.sn/Elle sera certainement modifiée sous peu afin qu’il ne soit plus accessible.
Aucun motif technique avéré ne peut être invoqué pour justifier l’arrêt de la fourniture de ce service aux citoyens. Tout système informatique dispose toujours d’un plan immédiat de reprise de service après un sinistre donc les motifs sont autres que techniques.
Ce portail en ligne permet d’abord, d’avoir la confirmation qu’on est bien inscrit sur les listes électorales et ensuite de vérifier la conformité des informations entre la carte d’électeur et celles sur le fichier électoral. Si des incohérences sont décelées, elles peuvent être corrigées durant les périodes de révision des listes électorales. Un outil incontournable pour le suivi de la situation électorale de chaque citoyen dans une démocratie.
Aussi, le Gouvernement du Sénégal jusqu’en 2012, dans sa volonté d’assurer la transparence du processus électoral avait mis à la disposition des sénégalais un moteur de recherche www.elections2012.sn pour consulter le fichier électoral en vue de l’élection présidentielle de 2012. Une telle initiative, qui était accompagnée d’un effort considérable d’information et de sensibilisation des électeurs, remonte aux élections locales de 2009 avec la mise en ligne de www.elections.sn . Adresse qui a été modifiée en 2010 pour devenir www.elections2010.sn .
Même s’il n’y a aucune disposition du code électoral qui donne le droit à un citoyen de consulter le fichier électoral sur internet, l’actuel Gouvernement du Sénégal devrait s’inspirer des pratiques du Gouvernement de 2012 afin que les citoyens puissent s’inscrire, se réinscrire ou rectifier des erreurs d’inscription. Si le Gouvernement actuel est tant soit soucieux d’une élection démocratique et transparente en février 2024, cet acquis démocratique ne doit pas être remis en question.
Dans le même ordre d’idées, il est à noter qu’au moment où la vie des Sénégalais se numérise de plus en plus, le numérique n’a pas été mis à profit pour faciliter l’inscription des citoyens via un formulaire dont la mise en place est un travail informatique très basique. De même, les listes provisoires des électeurs ne seront certainement pas aussi mises sur internet. Elles seront, sans nul doute, affichées devant les commissions administratives d’inscription rendant plus difficile leur consultation par les citoyens concernés.
Il est à ajouter, à tout ce qui est déjà exposé, qu’il n’a pas été constaté l’implémentation d’une campagne de communication de masse, ni par la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA), ni par la DGE pour inciter les potentiels électeurs à se mobiliser pour l’exercice de leurs droits électoraux.
Enfin, il est à noter que l’obtention d’un récépissé d’inscription ne signifie nullement qu’on sera effectivement présent sur les listes électorales. Il y a aussi les aléas liés aux omissions qui peuvent avoir pour origine le défaut de remontée des inscriptions au niveau de la Direction de l’Automatisation du fichier, et des rejets pour divers motifs, y compris pour défaut de signature du représentant de la CENA. A tout cela s’ajoute une période contentieuse très courte de 15 jours (du 1er au 15 juin 2023) pour traiter toutes les éventuelles réclamations.
Au regard de tout ce qui précède, malgré l’expérience d’organisation de 11 élections présidentielles depuis son indépendance en 1960, jouir du droit d’être électeur au Sénégal est toujours un véritable parcours du combattant. Une opération dont les difficultés sont démultipliées depuis 2016, de l’inscription jusqu’à la récupération la carte d’électeur.
Il apparaît ainsi que la révision des listes électorales en perspective de la présidentielle de 2024, ne permettra pas de refléter la réalité de la population électorale en rendant le fichier électoral le plus proche possible de l’électorat potentiel qui est d’environ 9 millions de citoyens en 2023.
Dès lors, l’enjeu, ne se trouve pas dans une augmentation du nombre d’inscrits au fichier électoral. Il se trouve plutôt dans l’électorat actuel au nombre de 7 036 466 inscrits. Pour gagner la présidentielle de 2024, il faut travailler à faire voter environ 65 à 70% de cet électorat.
D’abord, il est à constater et à faire constater une abstention record de 3 757 356 électeurs lors des élections législatives du 31 juillet 2022 sur un électorat de 7 036 466 inscrits. Aussi, se pose la question de savoir si la non-participation de ces électeurs à ce scrutin, est volontaire ou involontaire. En d’autres termes, cette abstention, est-elle choisie ou subie? Pour répondre à ces questions, une enquête doit être menée d’urgence. Elle visera, d’une part, à identifier les causes ayant conduit à cette abstention record, et d’autre part, à proposer des mesures correctives afin qu’ils puissent exercer leur droit de vote. Entreprendre une telle action pour faire voter plus de 50 % des 3 757 356 électeurs des législatives de 2022, est la clé de voûte de l’élection présidentielle du 26 févier 2024 au Sénégal pour tout candidat.
Cette est hypothèse d’autant plus avérée que le nombre de nouveaux inscrits de la révision en cours n’atteindra certainement pas le tiers des abstentionnistes, en considérant les résultats des révisions précédentes des listes électorales. Par conséquent, cette révision ne permettra pas de modifier sensiblement le fichier électoral. Le focus doit être ainsi mis sur les abstentionnistes.
Ce postulat est, en outre, vérifié par le lancement depuis novembre 2022, d’une opération d’identification et d’enrôlement de 1 500 000 abstentionnistes par le parti politique au pouvoir , sous le prétexte d’une vente de cartes de membre. Leur plateforme de collecte de données à l’adresse www.aprnet.sn visitée le 12 avril 2023 à 9h n’était pas fonctionnelle. Elle a été certainement modifiée depuis notre dernière visite en date du 28 janvier 2023.
Enfin, cette abstentionnisme record non élucidé, révèle que s’inscrire sur le fichier électoral ne garantit pas de pouvoir voter au Sénégal. En effet, il y a encore trois obstacles à surmonter pour pouvoir exercer son droit de vote. Premièrement, récupérer la carte d’électeur en espérant y trouver des informations électorales qui semblent être correctes, deuxièmement, pouvoir localiser son lieu de vote, et troisièmement, prier pour être sur les listes d’émargement le jour du scrutin. Tout ceci sans compter, avec les probables difficultés liées à l’identification (Nous y reviendrons).
Il est à rappeler que le fichier électoral et la carte électorale sont modifiables à tout instant par ses administrateurs et toute modification à l’insu de l’électeur lui fait perdre son droit de vote. Aussi, la non obtention par l’électeur d’informations actualisées, à cause de la non publication via des médias de communication de masse de la carte électorale, prive de vote de nombreux électeurs.
Toutes ces anomalies et défaillances sur le processus électoral ne rapprochent pas, en définitive, le nombre de suffrages exprimés de l’électorat, conduisant à une élection au suffrage censitaire. C’est ainsi que c’est une minorité d’électeurs qui élit les représentants du peuple sénégalais depuis 2016. La dernière élection législative en est l’illustration avec un taux de participation de 46,6% . C’est le retour du Sénégal à la démocratie au suffrage censitaire de l’époque coloniale.
Ce processus électoral biaisé, qui ne favorise pas un scrutin démocratique et transparent, donne au pourvoir en place qui a l’administration sous son contrôle, détient les ressources financières et une justice inféodée, les moyens de programmer d’avance sa victoire ou d’atténuer sa défaite à chaque élection au Sénégal, et ce depuis 2016. Ainsi, les manquements et dysfonctionnements ont été nombreux lors de l’élection présidentielle de 2019, si bien que les critères essentiels qui permettent de qualifier ce scrutin de démocratique et transparent tels que stipulés dans la constitution du Sénégal ont été remis en cause.
La liste de ces derniers est longue, on en cite quelques-uns sans être exhaustif :
(Source : Rapport Union Européenne sur la présidentielle de 2019 )
En définitive, les nombreux manquements et dysfonctionnements ont permis d’élire l’actuel président du Sénégal par une minorité d’électeurs. En effet, pour être Président du Sénégal, élu au 1er tour à l’élection du 24 Février 2019, le candidat de la coalition politique au pouvoir a obtenu 2 555 426 voix sur un fichier électoral de 6 683 043, soit 38,23% de l’électorat . Tandis que, si on considéré l’électorat potentiel, estimé à 8 413 851 en 2019, en se fondant sur le rapport de février 2020 sur la population du Sénégal en 2019 de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie , le Président actuel, serait élu à 30,37%. Ainsi, presque 70% de la population électorale n’a pas participé à cette élection.
En considérant tout ce qui précède, aucun Sénégalais n’a la certitude de pouvoir exercer son droit de vote à l’élection présidentielle du 25 février 2024, à moins d’être un électeur potentiel pour le pouvoir politique en place. En effet, pour tout Sénégalais, la seule et l’unique alternative pour s’assurer de la jouissance de son droit de vote, est d’être identifié et enrôlé comme électeur potentiel de la coalition de partis et mouvements politiques au pouvoir depuis 2012.
Cette stratégie électorale a été théorisée et portée à la connaissance de l’opinion publique nationale par l’ancien Ministre de l’intérieur du Sénégal, le 25 février 2018, soit 1 an avant l’élection présidentielle de 2019. Au cours d’une émission de télévision l’ancien Ministre fit la déclaration suivante: « J’ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne au 1er tour de l’élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d’abord je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m’emploierai pour qu’ils récupèrent leurs cartes d’électeurs et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall ».
Il est aussi à comprendre de tels propos, que quiconque qui ne veut pas voter pour leur candidat, ne sera pas aidé par les autorités du Ministère en charge des élections, à s’inscrire, à récupérer sa carte et aller voter, et par conséquent, il pourrait ne plus jouir de son droit d’être électeur et de son droit de vote, garanti par l’article 3 de la Constitution du Sénégal . Ainsi donc, il faut désormais justifier une certaine allégeance à la coalition politique au pouvoir depuis 2012 pour avoir la confirmation d’être admis à voter. Rupture d’égalité des citoyens opérée par le pouvoir politique en place au Sénégal.
Cette transformation du droit de vote en propriété privée par la coalition politique au pouvoir qui accorde sa jouissance selon la couleur politique, est à déconstruire en perspective de la présidentielle de 2024. Ce travail ne saurait tarder, il doit débuter dès maintenant.
Il est à remarquer que la collecte à l’échelle nationale des incidents électoraux qui peuvent être des preuves du manque de sincérité d’une élection demande des ressources humaines et financières dont ne disposent pas les organisations politiques et citoyennes du Sénégal. Certes, des initiatives citoyennes et politiques ont été tentées en vue de l’élection présidentielle de 2019. « La Plateforme opérationnelle de sécurisation des élections (Pose) » visait à recenser les électeurs qui peinaient à récupérer leur carte d’électeur. Tandis que le « Pôle des 4 » initiée par les 4 candidats de l’opposition avait pour objectif la sécurisation du vote. Cependant, à l’heure de l’évaluation de l’élection présidentielle, aucune de ces initiatives n’a présentée des résultats qui révèlent que leurs objectifs ont été atteints, malgré leur dénonciation de la manipulation de l’élection.
La cruciale mobilisation citoyenne et politique est à démarrer dès à présent pour bloquer et prévenir la mise en œuvre d’un processus électoral qui exclue du vote plus de 50 % de l’électorat potentiel. L’objectif est qu’au moins 90 % de la population électorale, d’environ 9 millions de citoyens, puissent avoir l’opportunité d’exprimer leur volonté par un processus électoral transparent et démocratique.
A cet effet, il est donc impératif de mener et sans tarder les actions suivantes :
- Mobiliser les citoyens pour exiger de la Direction générale des élections un accès immédiat à une plateforme fonctionnelle de consultation en ligne du fichier électoral, un numéro vert d’appel, et ce jusqu’au jour du scrutin, le 25 février 2024. Les messages sont à poster sur leurs comptes Facebook et Twitter .
- Réclamer une prolongation d’au moins 5 mois de la révision exceptionnelle des listes électorales. Celle de 2012, a duré 8 mois. A cet effet, il faudra inviter les citoyens à poster tous les jours des messages dans ce sens sur tous les comptes de réseaux sociaux de la Présidence et du Président du Sénégal (Facebook, Twitter, etc.). Ça doit être une forte demande citoyenne, le nombre de messages postés en sera l’indicateur.
- Documenter tous les manquements et dysfonctionnements. A cet effet, on peut dès à présent citer :
► Aucune investigation sur l’abstention record aux législatives de juillet 2022 de 3 757 356 électeurs sur un fichier électoral de de 7 036 466 inscrits soit 53,4 % de l’électorat afin d’identifier les causes et prendre des mesures correctives avant la préside ntielle de 2024 ;
► Démarchage de 1 500 000 électeurs par le parti politique au pouvoir sous couvert d’une vente de cartes de membres. Une atteinte à la sincérité du scrutin de 2024 ;
► Collecte illégale de données personnelles de 1 500 000 électeurs par le parti politique au pouvoir au vu et au su de l’autorité de protection des données ;
► Organisation d’une révision des listes électorales d’1 mois, plutôt que 6 mois, au moins, empêchant ainsi l’électoral potentiel d’environ 2 millions de citoyens de pouvoir exprimer en masse leur volonté en 2024 ;
► Mise à l’arrêt du service de consultation du fichier électoral en ligne et par numéro vert, ainsi aucun sénégalais n’est en mesure d’avoir des informations sur sa situation électorale avant la présidentielle de 2024.
- Alerte continue à l’échelle nationale et internationale par une campagne massive de communication sur ces incidents électoraux qui sapent déjà la sincérité du scrutin de 2024.
A défaut d’une prise en charge immédiate du processus électoral biaisé qui faussent le suffrage universel au profit d’un suffrage censitaire, la présidentielle de 2024 sera à nouveau une élection de faire valoir démocratique à l’image de celle de 2019. Et l’opposition continuera de parler d’élections truquées au Sénégal, sans convaincre personne.
Par Ndiaga Gueye
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Chercheur en marketing politique à l’ère du big data
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS
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