La Banque centrale et les institutions de lutte contre le blanchiment d’argent imposent aux banques et institutions financières de faire des déclarations sur des opérations suspectes qui leur passent devant les yeux. Si les banques tirent relativement bien leur épingle du jeu, ce n’est pas le cas des autres. Ce qui vaut au pays des rappels des institutions comme le Gafi.
Par Mohamed GUEYE – Dans un Sénégal qui semble avoir fait de la lutte contre le terrorisme et son financement, l’un des piliers de sa politique de sécurité du pays, il est assez surprenant de découvrir que beaucoup d’acteurs ne semblent pas assez sensibilisés sur le rôle qu’ils doivent y jouer. On note, dans les rapports d’activités de la Cellule de traitement de l’information financière (Centif) pour les années 2021 et 2022, que les banques effectuent l’essentiel des Déclarations d’opérations suspectes (Dos) dans ce pays. Sur les 371 Dos effectuées au Sénégal en 2021, 300 proviennent des banques et établissements financiers, suivies de 50 effectuées par les systèmes de transfert d’argent. Les autres acteurs, à savoir les notaires, les régies financières, les compagnies d’assurance et de réassurance, ou les systèmes financiers décentralisés n’ont, dans leur totalité, pu produire que 71 Déclarations de soupçons ou Dos.
L’année suivante, en 2022, ces déclarations ont même connu une certaine baisse, passant à 330. Sur ce nombre, les banques et établissements financiers n’ont pas connu de baisse, faisant toujours 300 Dos, alors que les autres acteurs, notaires, régies financières et autres, n’en n’ont produit que 50.
Si les banques font des efforts pour adresser leurs déclarations de soupçons, d’autres assujettis, comme les avocats ou les notaires, les établissements de monnaie électronique ou les systèmes de transfert d’argent, ainsi que les Systèmes financiers décentralisés, sont encore à la traîne.
Il faut rappeler, comme le font d’ailleurs les banques, que la Bceao a fixé le seuil de déclaration à la Centif à 15 millions de francs Cfa pour les transactions.
Pour comprendre l’importance des informations fournies par les institutions assujetties, il faut savoir que la Centif déclare avoir transmis au procureur de la République en 2022, 35 rapports relatifs à 47 Déclarations des opérations suspectes. Cela représente 26% des dossiers examinés par la Commission d’examen de la Centif. 19 autres dossiers ont fait l’objet d’une demande de poursuite des investigations.
Des spécialistes estiment que les chiffres des déclarations du Sénégal, par rapport aux nombres et aux montants des transactions financières dans le pays, sont très faibles, pour ne pas dire totalement dérisoires. L’un d’eux, Moussa Sylla, chargé de la Conformité dans une banque de Dakar, déclare dans un article sur Linkedin, que «cela est problématique pour notre pays quand dans le rapport mutuel d’évaluation du Sénégal, il est écrit à la page 41 : «Le niveau de compréhension des risques de Bc/Ft au Sénégal est relativement bon dans le secteur financier, mais a contrario certaines parties prenantes, notamment les Epnfd (par exemple les avocats, notaires, le secteur de l’immobilier), n’ont pas encore pris la pleine mesure de leur vulnérabilité face aux risques de Bc/Ft.»». Pour soutenir la déclaration de M. Sylla, il faut indiquer que le Giaba a dans plusieurs rapports, présenté le secteur immobilier du Sénégal comme une niche de blanchiment d’argent de la corruption ou de financement du terrorisme. Il est dès lors incompréhensible que des acteurs aussi importants que les notaires, les avocats ou les agents immobiliers fassent si peu de déclarations de soupçons.
La Centif a indiqué dans son rapport qu’en 2021, les montants concernés par les Dos sont de l’ordre de 568 milliards dont plus de 551 milliards effectués par les banques. Les notaires n’ont signalé qu’un peu plus de 72 millions.
Ces défaillances notées par ces acteurs ont valu une note peu tendre du Groupe d’action financière (Gafi), en 2021 : «Le Sénégal doit poursuivre le travail qu’il réalise dans le cadre de son plan d’action pour remédier à ses défaillances stratégiques, notamment… en s’assurant que les institutions financières et les Epnfd font l’objet d’un contrôle approprié et efficace ; (4) en actualisant et en tenant à jour des informations exhaustives sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et constructions juridiques, et en renforçant le système de sanctions prises en cas d’infractions aux obligations de transparence.» Les Epnfd sont les «Entreprises et professions non financières désignées».